Sur la place de la Bastille, lors de l’acte XI des « gilets jaunes », samedi 26 janvier. / Julien Muguet / Hans Lucas pour «Le Monde»

Plusieurs milliers de « Gilets jaunes » ont participé à l’acte XI, samedi 26 janvier, plus de deux mois après la première mobilisation, le 17 novembre 2018. Les rassemblements ont été émaillés d’incidents sporadiques à Paris, Toulouse ou Evreux (Eure), sur fond de dissensions au sein du mouvement concernant la stratégie à suivre.

Le ministère de l’intérieur a recensé 69 000 manifestants, dont 4 000 dans la capitale, soit légèrement moins que le 19 janvier. Ils étaient alors 84 000, dont 7 000 à Paris, selon les autorités, - des chiffres contestés par les « gilets jaunes ». Certains chefs de file de facto avaient appelé à prolonger les manifestations par une « nuit jaune » sur la place de la République, dans l’Est parisien, qui fut en 2016 l’épicentre d’un autre mouvement protestataire, « Nuit debout ». La place a été évacuée samedi en début de soirée.

Cinq manifestations distinctes au total ont été déclarées dans la ville, signe de l’éparpillement de ce mouvement à la recherche d’un second souffle au moment où le gouvernement tente de reprendre la main avec son « grand débat national ».

Un proche d’Eric Drouet blessé à l’œil

Les « Gilets jaunes » sont partis de plusieurs lieux de rendez-vous puis ont défilé dans le calme avant de converger, pour beaucoup, aux abords de la place de la Bastille. Des heurts ont éclaté entre manifestants et forces de l’ordre, lesquelles ont fait usage de gaz lacrymogènes, avec l’appui d’un canon à eau, pour disperser les manifestants aux alentours de 16 heures. La préfecture de police de Paris a fait état de 42 interpellations en milieu d’après-midi.

Un « gilet jaune » influent et proche d’Eric Drouet, Jérôme Rodrigues, a été blessé à l’œil place de la Bastille. Il était en train de filmer la fin de la manifestation pour un direct sur Facebook lorsqu’il a été touché.

Sur la vidéo qu’il a postée sur le réseau social, on peut voir, à partir de la 9e minute, des forces de l’ordre arriver à proximité de lui. Un projectile, dont la nature reste à déterminer, est lancé dans sa direction. L’homme s’effondre, vite entouré par des « street medics », des secouristes bénévoles. Présent sur place, Le Monde a constaté que Jérôme Rodrigues a ensuite été encadré par des policiers afin de sécuriser son évacuation par les pompiers. L’IGPN, la « police des polices », a été saisie « pour établir les circonstances dans lesquelles cette blessure est intervenue », a indiqué la préfecture de police sur Twitter.

Gouvernement, policiers et gendarmes se savent sous surveillance, après la polémique qui s’est développée sur l’usage des « lanceurs de balles de défense » (LBD) et les blessures que ces armes infligent. Les forces de l’ordre ont expérimenté pour la première fois ce samedi l’utilisation de LBD par des binômes, dont un des deux membres est porteur d’une « caméra piéton » filmant l’utilisation de cette arme et le contexte. Cela permettra le cas échéant de « réunir des preuves s’il y avait une contestation de l’usage du LBD », avait prévenu Laurent Nuñez, secrétaire d’Etat auprès du ministre de l’intérieur.

Le ministre de l’Intérieur Christophe Castaner a « condamné » samedi dans un tweet les « violences » commises selon lui par « des casseurs déguisés en gilets jaunes ». Il « condamne avec la plus grande fermeté les violences et dégradations commises samedi encore, à Paris comme en province, par des casseurs camouflés en gilets jaunes », selon le tweet.

« Nombreux actes de violences »

En chemin, l’un des cortèges est passé par le quartier des ministères, où s’est tenu un débat impromptu, en pleine rue, entre la ministre des Outre-mer, Annick Girardin, et Etienne Chouard, promoteur du « référendum d’initiative citoyenne » que de nombreux manifestants appellent de leurs vœux.

Ailleurs en France, les mécontents se comptaient par milliers également à Bordeaux, l’un des foyers de la contestation, Marseille ou Lyon, où ils étaient plus de 2 000, soit environ deux fois plus que le 19 janvier. Le chef-lieu du Rhône a été le théâtre d’affrontements entre « Gilets jaunes » et policiers, de même que Toulouse ou Evreux. « De nombreux actes de violences et des dégradations sont commis à Evreux depuis ce matin », a déploré Sébastien Lecornu, ministre et animateur du « grand débat » voulu par Emmanuel Macron, sur Twitter.

La vaste délibération collective lancée la semaine dernière par l’exécutif, avec la participation active du chef de l’Etat, pose aux « Gilets jaunes » un nouveau défi : comment garder l’initiative face au gouvernement ?

« D’autres alternatives »

« Nous devons maintenir nos mobilisations. Elles ne doivent plus se faire dans la violence. Nous devons avoir d’autres alternatives », lisait-on sur la page Facebook des initiateurs de la « Nuit Jaune ». Un appel relayé notamment par Eric Drouet, figure de la frange la plus contestataire du mouvement. « Nous maintiendrons ces nuits au moins jusqu’à la fin du grand débat », ajoutent les auteurs de ce texte.

D’autres « Gilets jaunes » ont opté pour une tout autre stratégie en annonçant mercredi la constitution d’une liste emmenée par Ingrid Levavasseur, aide-soignante de profession, en vue des européennes du 26 mai. Ce choix est loin de faire l’unanimité dans les rangs des « Gilets jaunes », si l’on en juge par les réactions suscitées sur les réseaux sociaux et par un communiqué, publié sur la page d’Eric Drouet, fustigeant une « récupération abjecte ».

Dimanche, les partisans du « grand débat » et opposants à toute contestation violente se compteront à Paris dans « une marche républicaine des libertés » à l’appel des collectifs « STOP, maintenant ça suffit » et « Foulards rouges ». Les organisateurs de cette manifestation jurent qu’elle est « apolitique » et qu’ils agissent uniquement par souci de dénoncer les violences et de promouvoir le dialogue.

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