Le torrent boue a recouvert les terrains et les habitations des envrions de Brumadinho, dans l’Etat du Minas Gerais / Washington Alves / REUTERS

Les Brésiliens se frottent les yeux en découvrant les images de la catastrophe de Brumadinho, avec l’impression de revivre la tragédie déjà vécue par l’Etat du Minas Gerais en novembre 2015. Depuis vendredi 25 janvier, ils revoient, incrédules, les mêmes scènes de dévastation et la violence du torrent de boue recouvrant tout sur son passage en quelques minutes comme il y a trois ans, près de la ville de Mariana. Selon les pronostics de l’Agence nationale de l’eau, la boue chargée de déchets miniers qui s’est déversée dans le fleuve Paraopeba pourrait atteindre dans les prochains jours le fleuve São Francisco, à 300 km de là. Un bilan établi par les autorités samedi en fin d’après-midi faisait état de 34 morts et quelque 300 disparus.

Cette impression de déjà-vu est d’autant plus forte que la même entreprise est à l’origine de cette nouvelle tragédie : le géant minier Vale, premier producteur de minerais de fer au monde et le plus important employeur de la petite ville de Brumadinho, à 60 km de la capitale de l’Etat, Belo Horizonte, où est située la mine de « Córrego do Feijão ». Ses employés, présents vendredi au moment de la rupture du barrage, constituent l’immense majorité des victimes.

« Le barrage s’est rompu et a tout détruit » : les images de la coulée de boue au Brésil

L’ouvrage qui a cédé était situé en amont d’un réfectoire et d’un bâtiment administratif. La mine compte un complexe de 13 barrages qui a produit 26,3 millions de tonnes de minerais de fer en 2017, soit près de 7 % de la production de Vale selon les chiffres de l’entreprise. Le barrage qui a cédé, édifié en 1976, était « désactivé » depuis trois ans, mais contenait cependant 13 millions de mètres cube de boue, issue des rejets de l’activité minière.

« Fort impact » en cas d’accident

L’Agence nationale des mines, responsable au Brésil de l’octroi de permis et du contrôle d’une partie des installations, a confirmé dans un communiqué que Vale avait bien réalisé « un contrôle de ce barrage par une entité indépendante en septembre dernier ». Selon ce diagnostic, le barrage présentait un « risque faible de rupture » mais un « fort impact » sur l’environnement en cas d’accident. Or l’« entité indépendante » mentionné par l’entreprise est un bureau d’étude, travaillant souvent exclusivement pour Vale, dont l’indépendance est régulièrement remise en question par les scientifiques.

Près de la ville de Brumadinho, samedi 26 janvier / DOUGLAS MAGNO / AFP

Le poids économique du géant minier dans la région est un autre facteur décisif dans l’octroi des permis. Le secrétariat à l’environnement du Minas Gerais s’était réuni le 11 décembre 2018 pour examiner une nouvelle licence de production de ce complexe minier. Le compte rendu de la réunion, rendu public par la presse brésilienne, révèle que la possibilité d’une rupture du mur de contention avait été évoquée par le responsable de l’IBAMA, l’organe qui contrôle également les installations minières, et par la représentante de la société civile, qui avait été la seule à voter contre la délivrance d’un nouveau permis.

Pour la professeur en droit environnemental à l’Université PUC de Sao Paulo Letícia Marques, « la loi au Brésil est suffisamment rigoureuse, elle impose aux entreprises des obligations très strictes pour préserver l’environnement. Le problème vient des organes chargés de contrôler son application qui ont perdu leur personnel et leurs moyens financiers pour travailler correctement ».

Risques de rupture sur 20 barrages du Minas Gerais

Vendredi soir, le président de Vale, Fabio Schvartsman, a assuré en conférence de presse détenir « une très longue liste d’actions réalisées pour éviter toute nouvelle tragédie depuis celle de Mariana. Nous avons amélioré les contrôles de nos barrages ainsi que les mesures de sécurité ». Des propos difficiles à accepter pour Danilo Chammas, l’avocat qui défend les victimes de Vale au niveau national, exprimant sa « colère » et sa « frustration » devant les images de la catastrophe.

« Il existe aujourd’hui des technologies bien plus performantes pour traiter ces déchets sans devoir les entreposer dans des barrages vétustes, commente Danilo Chammas. Même Vale avait commencé en 2009 à étudier cette question via un projet dénommé « zéro barrages ». Mais Vale refuse de débattre sur ces questions malgré nos interpellations y compris pendant l’Assemblée annuelle des actionnaires à Rio de Janeiro. »

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Durée : 03:37

Samedi, le président Jair Bolsonaro a survolé en hélicoptère la zone dévastée mais sans prononcer le moindre mot à la presse. « Le président va devoir changer son discours sur la flexibilisation des permis d’exploitation minière, estime Letícia Marques. Ce que je constate, c’est que la population brésilienne est indignée et veut au contraire plus de contrôle. » Une population brésilienne en colère mais aussi inquiète de ces tragédies à répétition. Selon une récente étude de l’Université du Minas Gerais, au moins 20 barrages, sur les 450 que compte l’Etat du Minas Gerais, présenteraient des risques sérieux de rupture.

Correspondance à Rio, Anne Vigna