Editorial du « Monde ». Depuis le 24 janvier, le Venezuela se réveille tous les matins avec deux présidents à sa tête. Rarement la situation a été aussi tendue et inédite dans ce pays miné par une crise économique sans précédent.

D’un côté Nicolas Maduro, le chef de l’Etat en titre, réélu en mai 2018, au terme d’un scrutin entaché d’irrégularités, boycotté par l’opposition et déclaré illégitime par une partie de la communauté internationale. De l’autre, un jeune opposant de 36 ans, Juan Guaido, président du Parlement, qui s’est autoproclamé, mercredi 23 janvier, « président par intérim ». Inconnu il y a encore trois semaines, le jeune dirigeant a été immédiatement reconnu par les Etats-Unis, le Canada et les principaux pays d’Amérique du Sud.

Deux figures que tout oppose. Le président en poste a prêté serment le 10 janvier pour un nouveau mandat de cinq ans. Cinq jours auparavant, Juan Guaido a été désigné à la tête de l’Assemblée nationale, parce que les partis d’opposition qui y sont majoritaires depuis 2015 ont convenu de faire tourner sa présidence. Si l’autoproclamation de ce jeune député a suscité une certaine espérance à Caracas, d’autres ne croient guère à la chute du régime. Du moins, dans l’immédiat. En 2017, quatre mois de manifestations avaient coûté la vie à 125 personnes, en vain.

Fait notable, M. Guaido était toujours en liberté samedi matin. Une configuration singulière, alors que la propension du régime est d’envoyer ses adversaires derrière les barreaux, ou de les pousser à l’exil. Certains veulent y voir la preuve que le pouvoir en place ne souhaite pas en faire un éventuel martyr. Ou qu’il ne se sent pas suffisamment fort pour s’attaquer de front à un adversaire qui a reçu l’onction d’une partie de la population.

Avec un soutien évalué, selon les sondages, au mieux à 20 % dans l’opinion publique, confronté à une situation économique catastrophique et à l’exode de millions de Vénézuéliens, le régime ne tient que parce qu’il contrôle la justice, a la mainmise sur le processus électoral et bénéficie, jusqu’à ce jour, de l’appui de l’armée.

Recherche d’une transition pacifique

Personne ne doute que le coup de force du jeune député se soit produit avec l’assentiment de Washington, ce qui jette une ombre et rappelle de mauvais souvenirs quant à l’interventionnisme des Etats-Unis en Amérique latine. L’opposition a-t-elle concerté son action avec les militaires ? « Sans appui de la force armée sur la scène intérieure, la ­transition est partie pour durer », rappelle un bon connaisseur du pays.

Des discussions sont en cours entre des responsables de l’armée et des capitales étrangères, à commencer par Washington, en vue de rechercher une transition pacifique. Dès son « investiture », M. Guaido a multiplié les initiatives. L’Assemblée nationale vénézuélienne a déclaré le président Maduro « usurpateur » et a travaillé à une loi d’amnistie pour inciter les militaires à le lâcher. Des mesures symboliques, les députés ayant été privés de tout pouvoir. Mais elles jettent un certain trouble, voire amplifient les fractures qui se sont manifestées dans les casernes.

Même si M. Maduro se comporte en dictateur et s’est maintenu au pouvoir par la force, on ne répond pas à un coup d’Etat par un autre coup d’Etat. Il faut que la communauté internationale arrive à imposer des élections libres pour que ce pays déchiré et exsangue retrouve le chemin de la démocratie et porte à sa tête un président à la légitimité incontestable.