Iggy Pop prêtant sa voix pour la narration du film « L’Eloge du rien ». / DRIBBLING PICTURES

Arte, mardi 29 janvier à 00 h 25, documentaire

Qu’est-ce que le « rien » ? Loin du laxiste « Le rien, c’est ça ! », griffonné par le cancre en haut d’une copie blanche, le réalisateur serbe Boris Mitic a, lui, la provocation studieuse. Il a travaillé huit années pour peaufiner sa réponse, In Praise of Nothing (L’Eloge du rien), diffusée dans le cadre de « La Lucarne », le rendez-vous documentaire d’Arte.

Huit ans et 62 cinéastes – dont certains reconnus, comme l’Autrichien Michael Glawogger –, qu’il a envoyés dans 70 pays différents avec pour consigne de rapporter du rien, mais en grande quantité. Boris Mitic en a extrait 2 000 images, qui lui ont inspiré un texte en rimes (en anglais). Regroupées en une trentaine de saynètes et reliées par des plans fixes de citations enluminées, à la façon des films muets, elles constituent un objet filmé qui peut déconcerter, mais qui finit par captiver.

« Un jour, le rien se met en fuite, las d’être mécompris », indique le premier tableau. La caméra avance dans un désert de sable, un paysage bleuté déformé ondoie, porté par le son d’une flûte. La bande originale, composée par le Français Pascal Comelade et le trio londonien The Tiger Lillies, s’adapte, tantôt musette, fête foraine, jazzy ; tantôt rengaine, sud-américaine. « [Le rien] arrive dans notre vallée perdue. » La partition s’égaie, une petite fille paraît.

Iggy Pop enregistre dans un studio de Miami, près de chez lui, en trois heures, « soit pratiquement tout en une seule prise », souligne Boris Mitic

« Enfin notre premier rancard ! » : faute de prendre corps, le rien prend voix, celle d’Iggy Pop, dynamiteur du rock des années 1960-1970 et leader des Stooges. A 71 ans, l’« lguane », qui se produit toujours sur scène, a le timbre caverneux et la diction scandée, prompts à rompre avec la monotonie des images.

« Le texte a été écrit avant que j’aie l’idée de solliciter Iggy, précise Boris Mitic. Ce n’est que par la suite que j’ai remarqué les nombreuses références à son œuvre ; quand il a accepté. » Ce qui n’a pas été aisé. « Le plus dur a été de franchir les multiples barrages de ses agents, poursuit Boris Mitic. Et de négocier les conditions [top secrètes]. » Ensuite, place au pro. Iggy Pop enregistre dans un studio de Miami, près de chez lui, en trois heures, « soit pratiquement tout en une seule prise », souligne Boris Mitic.

Non-information assumée

Résultat, « le rien cherche à défendre sa cause », déclame Iggy Pop d’une voix faussement sérieuse. Sur l’écran, un trou de serrure s’ouvre sur un océan terne. L’ombre d’un brise-glace s’avance sur les plaques grises gelées. A travers un grillage ouaté de neige, des wagonnets de mine sont alignés sur plusieurs voies ; en fond sonore, un accordéon étire sa complainte slave. Ce visuel a été choisi parmi des dizaines d’autres images de Mourmansk (Russie), mais le téléspectateur l’ignore, privé de toute indication géographique. Une non-information assumée par Boris Mitic, afin de « conserver l’universalité de l’expérience filmée ».

Quatre vaches vous regardent. Extrait d’« Eloge du rien », publié dans « La Lucarne » sur Arte. / DRIBBLING PICTURES

De même, le cinéaste dénonce les documentaires « donneurs de leçons », mais il s’autorise certains messages. Ainsi, « nos enfants nous vendront pour un meilleur téléphone », prévient Iggy Pop. Une chenille traverse une route, à son rythme. « Les Américains dépensent une fortune pour s’acheter du rien. » Sur un panneau lumineux, deux silhouettes s’animent d’une marche perpétuelle. Trois fois rien. « Laissez-vous aller. Et voyez ce que vous voudrez. »

IDFA 2017 | Trailer | In Praise of Nothing
Durée : 01:28

In Praise of Nothing (L’Eloge du rien), de Boris Mitic (Serbie-Croatie-France, 2017, 78 min). En replay pendant 60 jours. sur www.arte.tv