Le premier ministre grec Alexis Tsipras et des membres de son gouvernement, au Parlement, le 25 janvier. / COSTAS BALTAS / REUTERS

Editorial du « Monde ». Les occasions de célébrer un recul du nationalisme ne sont guère plus fréquentes ces temps-ci que les bonnes nouvelles dans les Balkans. Il faut donc doublement se réjouir du vote du Parlement d’Athènes, le 25 janvier, en faveur de l’accord entre la Grèce et l’Ancienne République yougoslave de Macédoine, qui ouvre la voie à l’intégration de ce petit Etat dans la communauté occidentale.

Dix jours après le Parlement de Skopje, les députés grecs, à une courte majorité, ont entériné les accords dits « de Prespa », signés en juin 2018 entre les deux gouvernements, qui consacrent le nom officiel de République de Macédoine du Nord, âprement négocié par Athènes, pour l’ex-république yougoslave. Depuis 1991, la Grèce s’opposait à ce que cet Etat, issu de l’éclatement de la Fédération de Yougoslavie, porte le même nom qu’une de ses régions, la Macédoine.

Cet heureux dénouement est d’abord à mettre au crédit du premier ministre grec, Alexis Tsipras, et de son homologue macédonien, Zoran Zaev. Accusés de trahison par leurs adversaires, ils ont résisté avec courage à de violentes campagnes, appuyées par d’importantes manifestations, pour surmonter tensions et fantasmes et mettre fin à une querelle de près de trente ans.

M. Zaev a dû affronter l’opposition de son président nationaliste, Gjorge Ivanov, un fidèle de l’ancien premier ministre Nikola Gruevski, condamné pour corruption et aujourd’hui réfugié en Hongrie, sous la protection de Viktor Orban.

Un terme à la surenchère dans le discours et les symboles

M. Tsipras a vu s’effondrer sa coalition avec le parti souverainiste de son ministre de la défense, Panos Kammenos, qui a démissionné quelques jours avant le vote au Parlement. Il n’a pas pu compter non plus sur le soutien du parti de droite Nouvelle Démocratie, pourtant dirigé par le pro-européen Kyriakos Mitsotakis, qui a maintenu son hostilité aux accords.

Skopje, de son côté, a su mettre un terme à la surenchère dans le discours et les symboles, alimentée par Nicolas Gruevski, au pouvoir de 2006 à 2016, et ses statues édifiées à la gloire d’Alexandre et Philippe de Macédoine.

L’engagement de l’Union européenne, de Washington et des Nations unies a été déterminant pour pousser les deux pays au compromis, alors que, en toile de fond, la Russie tentait de placer ses pions. La perspective, proche, de l’adhésion de la Macédoine du Nord à l’OTAN et celle, plus lointaine, de l’accès à l’UE, ont été cruciales. En septembre 2018, plusieurs dirigeants européens, notamment allemands, ont fait le voyage à Skopje pour défendre un référendum sur le changement de nom.

Ce soutien a toutefois produit un effet pervers, celui d’un accord imposé d’en haut. Exploité par les conspirationnistes de tous bords, l’argument a contribué à la faible participation électorale au référendum, boycotté par l’opposition. Après l’échec de cette consultation, le social-démocrate Zoran Zaev a dû déployer toute son habileté pour convaincre les deux tiers de ses députés de voter le changement.

Le tableau ne serait pas complet sans l’ironie du soutien apporté à quelques jours du vote du Parlement grec à Alexis Tsipras, le chef de la gauche radicale, par la chancelière allemande Angela Merkel, qu’il avait combattue en tentant en vain de trouver une voie de sortie moins austère pour la Grèce pendant la crise de la dette. En prenant le risque d’aller à l’encontre d’une bonne partie de l’opinion publique, à quelques mois de nouvelles élections législatives, M. Tsipras a consolidé son statut d’homme d’Etat.