A la dernière seconde du match, Nikola Karabatic a inscrit le but vainqueur, face à l’Allemagne. / FABIAN BIMMER / REUTERS

Le symbole est immense. Alors que la France et l’Allemagne sont à égalité, Nikola Karabatic s’envole. Son tir à une seconde de la sirène transperce les filets et les rêves allemands. Lui qui, blessé, n’était pas supposé disputer le Mondial 2019, exulte. Son but « au buzzer » a offert le bronze à l’équipe de France, dimanche 27 janvier (26-25).

Au terme d’une compétition les ayant vu alterner le bon – une victoire pleine de maîtrise contre les champions d’Europe espagnols – et l’inexistant – la demi-finale perdue contre les Danois –, les Bleus montent une fois encore sur le podium. Une médaille qui récompense un groupe largement renouvelé depuis la prise de fonction de Didier Dinart.

« On parle des “Experts”, mais en commençant ce match, il n’y a que trois champions olympiques dans le groupe », rappelle le sélectionneur français. Trois hommes, Abalo, Guigou et Karabatic, qui ont symboliquement scellé le sort de la petite finale. L’ailier droit arrache un ballon, transmet à son capitaine qui sert le numéro 13 français. Mais cette action décisive ne résume pas la compétition française, qui a vu les Bleus bien souvent s’en remettre à leur jeune garde.

« Période d’apprentissage et de frustration »

Brillantes mais pouvant encore être polies, les pépites de la génération 1996-1997 (Fabregas, Mem, Richardson, Lagarde) et l’escouade de jeunes Bleus n’ont pas grand-chose à se reprocher dans ce Mondial. Programmés pour éclore lors des Jeux olympiques de Paris 2024, ils ont accumulé de l’expérience. L’équipe, elle, traverse « une période d’apprentissage et de frustration », constate Dinart.

Si elle s’est découvert un nouveau patron en Kentin Mahé, à la croisée des chemins entre les anciens et les modernes et meilleur buteur français de la compétition (44 buts), l’équipe de France n’a pas trouvé de remplaçant à ses glorieux anciens, capables de sauver la nation en péril. « Le leadership n’est pas quelque chose que l’on t’attribue en équipe de France, atténue le fils du Barjot, Pascal Mahé. Ça se construit au fil des compétitions, avec des victoires comme celle-ci où les joueurs gagnent en expérience et en vécu. L’équipe de France progresse comme ça, des nouveaux arrivent, et les anciens leur donnent des conseils. »

Pour maintenir le niveau d’excellence des Bleus, l’encadrement français a fait de la transmission son maître-mot. « Ce n’est pas facile de porter le maillot de l’équipe de France, insiste Luka Karabatic. Des jeunes arrivent et on leur parle des Experts. Dans les salles, ils se font siffler à chaque action sans avoir rien demandé. Toutes ces médailles, toutes ces étoiles sur le maillot, ça met beaucoup de poids sur les épaules. »

La constance de la France

Accoutumé à voir l’équipe de France de handball – hommes et femmes désormais – l’emporter, le public hexagonal s’attend à ce que les Bleus ramènent l’or à la maison. « Le grand public dira peut-être que c’est un scandale qu’on ne gagne plus, s’amuse Valentin Porte. Mais si on parvient à aller chercher une médaille à chaque fois, on sera bientôt capable d’aller chercher l’or. »

L’important, c’est d’être constant. « On est une des équipes les plus constantes de ces dernières années, et c’est dur de l’être autant au niveau international », opine Nikola Karabatic. Habitués des podiums mondiaux, le Danemark, l’Espagne ou l’Allemagne se sont ratés, voire ont manqué des compétitions. Pas la France.

Pour autant, l’avenir de l’équipe de France n’est pas exempt d’interrogations. « J’ai l’impression que ces demi-finales constituent un plafond psychologique, qu’ils n’arrivent pas à franchir », a tancé Daniel Costantini dans Le Parisien après le match perdu contre les Danois. De quoi augurer d’une transition difficile selon l’entraîneur qui a mené les Barjots à leurs premiers titres mondiaux (1995 et 2001), qui voit dans la mouture actuelle des Bleus bien des individualités mais une équipe encore à construire.

« Cette équipe a énormément de talent individuel », confirme Nikola Karabatic. Mais ce talent n’a pas suffi à pallier les errements collectifs contre les Danois. Comme un an auparavant, en demi-finale de l’Euro. « On s’est rendu compte sur les deux dernières compétitions qu’un peu d’expérience aide à gagner », analyse Michaël Guigou. « Pas seulement de celle des jeunes mais notre expérience collective », précise le capitaine français.

Une équipe en quête d’identité

Car ce groupe France manque de vécu. S’ils viennent de passer un mois ensemble, les Bleus n’ont pas eu bien longtemps pour peaufiner leur jeu. « On a besoin de temps ensemble pour travailler, corrobore Valentin Porte. On a une équipe jeune, avec des joueurs qui ont envie, mais on peut être bien meilleurs dans des secteurs du jeu. » Sur les montées de balles (contre-attaques), les Bleus ont pêché tout au long de la compétition, ratant plusieurs occasions de punir l’adversaire, notamment dans des cages vides. « Il y a plein de petits détails à améliorer, poursuit Porte, mais on a besoin de temps pour travailler. » Les Jeux olympiques de Tokyo dans le viseur, les Bleus ont un an et demi pour corriger le tir. « On a beaucoup de qualités, résume le jeune Ludovic Fabregas. Mais à nous les mettre en œuvre dans les matches qui comptent pour remettre l’équipe de France tout en haut. »

« Cette jeune équipe doit trouver son identité », martèle Didier Dinart, soucieux de ne pas brûler les étapes avec des joueurs « privilégiés, car habitués à accéder aux demi-finales ». « Cette médaille, ils l’ont obtenue au caractère. Mais ils doivent se construire dans la douleur. » Et en même temps maintenir la tradition d’excellence.

Si l’équipe de France a décroché dimanche la onzième médaille mondiale de son histoire, elle n’est pas du plus beau des métaux. Le Danemark, dans une assourdissante arène acquise à sa cause, a remporté le seul titre qui manquait à son palmarès (victoire 31-22 face à la Norvège). Une nation, bourreau des Bleus en demi-finales, que le sélectionneur français cite en exemple pour ses jeunes troupes.

« Cette équipe a été meurtrie, ils n’avaient jamais gagné un Mondial, ils ont perdu des finales. Mais aujourd’hui ils sont matures, et regardez le résultat. » Forte d’une génération au sommet de son art, incarné par la maestria de Mikkel Hansen, la nation scandinave pourrait unifier les trois couronnes – olympique, mondiale et européenne – si elle remporte l’Euro l’an prochain. Les Bleus, qui l’ont fait par deux fois, n’en sont plus là.