L’envoyé américain pour la paix Afghanistan, Zalmay Khalilzad (au centre), devant la presse, à l’ambassade américaine à Kaboul, le 28 janvier 2019. / HANDOUT / REUTERS

Est-ce un signe d’impatience ou de l’imminence d’un accord de paix dans le conflit afghan qui dure depuis dix-sept ans ? Pour la première fois, depuis sa nomination, en septembre 2018, l’émissaire américain pour la paix en Afghanistan, Zalmay Khalilzad, chargé de mener les pourparlers, a assuré publiquement, lundi 28 janvier, dans un entretien au New York Times, être parvenu à « une ébauche d’accord de paix » avec le principal mouvement insurgé afghan.

Cette déclaration a été faite au terme d’une nouvelle session de discussion à Doha, au Qatar, où se trouve le bureau de représentation officiel des talibans. Dans la soirée, il ajoutait, dans un communiqué transmis par l’ambassade des Etats-Unis à Kaboul :

« Nous avons un accord de principe sur quelques questions très importantes (…), il y a encore beaucoup de travail à faire avant de pouvoir dire que nous avons réussi. »

Au titre des éléments qualifiés de « progrès significatifs », M. Khalilzad a mentionné l’engagement des insurgés d’interdire leur territoire à tout mouvement terroriste contre le départ des troupes américaines suivant la signature d’un accord.

Partie de poker

Selon plusieurs observateurs occidentaux en poste en Afghanistan, cette prise de parole, au cœur de pourparlers qui n’avancent pas aussi vite que Washington le souhaiterait, illustrerait surtout la partie de poker qui se joue entre les Etats-Unis et les talibans. Une discussion exclusive entre deux acteurs principaux du conflit afghan qui a ­débuté, en juillet 2018, pour trouver une issue politique à une guerre sans fin.

Dès lundi, le mouvement taliban a démenti les rumeurs faisant état d’un nouveau cessez-le-feu.

Car, dans les faits, les points évoqués par M. Khalilzad ont déjà fait l’objet d’accord de principe lors des précédentes rencontres. Ils font même partie de mesures dites « de confiance », arrêtées depuis l’été et la fin 2018, et portant, notamment, sur le retrait des troupes américaines dans les dix-huit mois suivant l’accord, sur le sort des derniers prisonniers talibans détenus, sur le retrait des noms de responsables talibans de la liste des sanctions du Conseil de sécurité de l’ONU visant les groupes terroristes, et sur la reconnaissance officielle du bureau de représentation talibane à Doha, que bloque toujours le régime afghan.

Ces éléments étaient d’ailleurs suffisamment acquis pour être intégrés dans un projet d’accord de paix rédigé à la demande de l’administration américaine par des experts de la Rand Corporation, un think tank privé proche du Pentagone.

Soldats américains patrouillant sur une base de l’Armée nationale afghane, dans la province de Logar, en Afghanistan le 7 août 2018. / Omar Sobhani / REUTERS

Dès lundi 28 janvier, le mouvement taliban a précisé, pour sa part, que rien n’était, pour l’heure, encore abouti et que si les échanges avaient été « constructifs », il restait à en soumettre le résultat à la direction du mouvement. Il a également démenti les rumeurs faisant état d’un nouveau cessez-le-feu après celui de juin 2018 qui avait duré trois jours. Une retenue qui tranche avec l’empressement de M. Khalilzad à communiquer.

Le régime de Kaboul affaibli

De plus, les Etats-Unis ont eux-mêmes conditionné toute signature d’accord à un dialogue direct entre le régime de Kaboul et les ­talibans, qui le refusent toujours. Plus le temps passe, plus les talibans sont en position de force, et plus le régime de Kaboul s’affaiblit. Le président afghan, Ashraf Ghani, a reconnu vendredi 25 janvier que 45 000 membres des forces de sécurité afghanes ont été tués depuis son arrivée au pouvoir en 2014.

Le président Ashraf Ghani a rappelé que le gouvernement afghan devait être partie prenante des discussions.

Lundi, le chef de l’Etat a rappelé qu’une discussion de paix ne pouvait se faire sans le gouvernement afghan et il s’est inquiété des conséquences pour le pays d’un processus précipité : « Aucun Afghan ne veut que les troupes étrangères restent indéfiniment dans le pays. Nous voulons la paix, nous la voulons vite, mais nous la voulons avec un plan. »

Dans l’entourage du chef du gouvernement, Abdullah Abdullah, les déclarations de M. Khalilzad sont perçues comme un passage en force. Les Etats-Unis, pris dans une logique de court terme, soucieux de trouver, à tout prix, une paix avant l’élection présidentielle afghane de juillet, risquent de perdre la face en cédant devant ceux qu’ils combattent depuis dix-sept ans, et d’ouvrir une nouvelle séquence de guerre civile redoutée par tous, en bouclant à la va-vite un processus de paix mal ficelé.