La perspective d’un « no deal » se précise-t-elle vraiment ? Mardi 29 janvier, les députés britanniques ont approuvé un amendement qui demande le remplacement du « backstop » irlandais par un « dispositif alternatif » non précisé. Theresa May obtient ainsi le mandat qu’elle sollicitait pour une renégociation que Bruxelles exclut formellement. Philippe Bernard, notre correspondant à Londres, a répondu à vos questions sur le Brexit.

La première ministre Theresa May, le 29 janvier, au Parlement. / JESSICA TAYLOR/AP

Lélé : Je pars deux jours après le Brexit à Bristol. Me faudra-t-il un visa si le Royaume-Uni sort de l’Union européenne en « no deal » ?

L’incertitude de ma réponse reflète le flou général. Pas de « deal » signifie vide juridique. Les Britanniques parlent de « saut de la falaise » ! Ce qui est sûr, c’est que vous n’aurez pas besoin de visa pour vous rendre à Bristol après un Brexit négocié avec l’UE. En cas de « no deal », les Britanniques ont fait savoir qu’ils seraient accueillants. Mais tout dépendra de la réciprocité.

Jonny : Que se passera-t-il si aucun changement n’est fait sur l’accord négocié actuel : sera-t-il revoté par le Parlement ? Theresa May joue-t-elle la montre pour forcer le Parlement à accepter son « deal » en l’absence d’alternative ?

Il est probable que l’UE consentira, comme elle l’a déjà proposé, à ajouter quelques phrases « rassurantes » sur le « backstop irlandais » dans la « déclaration sur les relations futures », texte juridiquement non contraignant placé en annexe de l’accord sur la sortie de l’UE qui, lui, a le statut de traité international.

Mais rien ne dit que cela suffira à convertir les opposants. A mon avis, les « hard brexiters » ne se satisferont d’aucune concession de la part de l’UE. Pour eux, l’Irlande n’est qu’un prétexte. Ce qu’ils veulent, c’est une rupture totale avec l’UE, apte à permettre de transformer le Royaume-Uni en une sorte de Singapour déréglementé aux portes de l’Europe.

Theresa May joue la montre à la fois à l’égard de l’UE (pour obtenir des concessions sur l’Irlande) et à l’égard des députés (pour qu’ils finissent par voter l’accord par crainte d’un « no deal »).

Azal : Le Parlement britannique propose-t-il une autre option que le « backstop » à la gestion de la question Irlandaise ? Si non, quelle est la marge de manœuvre de Mme May face à l’UE ?

Non, l’amendement Brady adopté hier par 317 voix contre 301 donne mandat à Theresa May pour aller négocier à Bruxelles en faveur d’un « dispositif alternatif » dont la nature n’est pas précisée. En fait, des discussions à ce sujet, notamment sur un éventuel contrôle électronique invisible de la frontière mis en avant par Londres, ont eu lieu pendant des mois à Bruxelles. Elles ont abouti à la conclusion que cette frontière sans poste-frontière relevait du rêve. D’où la nécessité retenue de maintenir l’Irlande du Nord dans le marché unique.

Le seul atout dont dispose vraiment Theresa May est la menace d’un « no deal » néfaste pour l’économie du continent (mais catastrophique pour celle du Royaume-Uni).

Marie : Comment les partisans d’un Brexit dur et le DUP assument-ils le retour d’une frontière dure entre l’Irlande du Nord et la République d’Irlande ?

Tout le monde, au moins dans les discours, est hostile au retour d’une frontière dure. Les gens qui l’ont connue ont un souvenir très cuisant du temps où la frontière était militarisée, files d’attente, angoisse, risques d’attentat… Simplement, les unionistes, qui défendent leur « Britishness », y sont moins sensibles que les républicains.

JM Lustukru : Quel a été le résultat du référendum Brexit en Irlande du Nord ?

55,8 % des citoyens d’Irlande du Nord ont voté contre le Brexit. D’où l’opposition à ce divorce contraint avec l’UE. Et le fait que certains lorgnent désormais sur une possible réunification de l’Irlande au sein de l’Union.

Europe : Je souhaiterai savoir s’il existe un risque de la reprise du conflit armé en Irlande en cas de retour de frontière physique ?

Il s’agit d’un risque réel. L’absence de frontière est un élément essentiel de la paix. Juridiquement, elle existe, ce qui rassure les unionistes (partisans du maintien de l’Irlande du Nord dans le Royaume-Uni) mais elle ne se voit pas, ne se ressent pas, ce qui permet aux républicains d’avoir l’impression d’une île unifiée.

Illio : Pourquoi les Unionistes irlandais soutenant le cabinet May font tout pour avoir un hard Brexit (avec une frontière physique) alors que leur population a voté majoritairement contre le Brexit ?

Les unionistes ne réclament pas le rétablissement de la frontière car ils ont fini pour la plupart par accepter l’accord de paix de 1998 et ses conséquences.

Le sérieux paradoxe est ailleurs : le Parti démocratique unioniste (DUP) défend mordicus le Brexit alors que la sortie de l’UE va compromettre l’économie de la province. Mais c’est une manière pour eux de montrer qu’ils sont « plus Anglais que les Anglais ».

Encore ne faut-il pas assimiler tous les unionistes (protestants) au DUP, qui est un parti extrémiste, très conservateur sur le plan sociétal (contre l’avortement, par exemple). On en parle beaucoup car Theresa May a besoin de l’appui des dix députés DUP à Westminster pour réunir une majorité. Elle en est pour ainsi dire l’otage.

Jolitorax : Y a-t-il un risque pour Londres que l’Ecosse réorganise un nouveau référendum d’indépendance en cas de « no deal » ?

Il est probable en effet que les nationalistes écossais qui tiennent le gouvernement décentralisé d’Edimbourg seront tentés de réorganiser un référendum sur l’indépendance. 62 % des Ecossais ont voté contre le Brexit et beaucoup sont furieux d’être contraint de quitter l’UE contre leur gré.

Morly : Est-ce que la solution d’un soft Brexit, avec un RU qui resterait dans l’Union douanière, ne serait pas le plus à même de rassembler une majorité à la Chambre ? Mme May ne joue-t-elle pas l’unité de son parti plutôt que la meilleure solution pour son pays ?

Le maintien permanent dans une union douanière est la position officielle du Parti travailliste de Jeremy Corbyn. Les votes d’hier ne semblent pas montrer qu’elle réunirait une majorité au Parlement, au moins pour le moment. Mais les choses pourraient tourner différemment dans l’affolement que produirait la perspective d’un « no deal » à l’approche de la date butoir du 29 mars.

Bert : Si les Britanniques obtiennent un prolongement de la période de transition et participent aux élections européennes, ne vont-ils pas profiter de cette position pour renégocier à leur avantage ?

L’article 50 du traité de Lisbonne qui évoque les conditions pour quitter l’UE fixe à deux ans la durée des négociations. Ouvertes le 29 mars 2017, elles s’achèveront le 29 mars 2019. Un report de cette date exige l’accord unanime des 27 Etats de l’UE. Personne, au Royaume-Uni, n’imagine que des élections européennes (fin mai) puissent se tenir dans un pays en plein Brexit. Si un report était accordé, il pourrait courir jusqu’au début juillet, date de la première session du Parlement européen nouvellement élu.

Nicolas 13 : Il semble que le Royaume-Uni mette beaucoup d’énergie à assumer le résultat du référendum qu’ils ont engendré, alors que son résultat est en grande partie due à de la désinformation. (…) Pourquoi ne pas refaire un référendum ?

De nombreux Britanniques militent en faveur d’un second référendum pour les raisons que vous mentionnez : désinformation lors de la campagne de 2016, financement trouble, etc. Mais les votes qui ont eu lieu hier au Parlement tendent à montrer qu’il n’existe pas de majorité en faveur d’un second référendum.

Robin : En cas de « no deal », qu’en sera-t-il de la situation des étudiants de l’UE ?

Je ne pense pas que le « no deal » change en lui-même quelque chose à ce sujet. Avec le Brexit, les étudiants européens perdront sans doute le bénéfice de l’égalité des droits d’inscription avec les Britanniques et devront payer le prix fort, comme les autres étrangers.

Brux : Avec votre expérience et votre recul, selon vous, vers quelle issue se dirige-t-on ?

Theresa May a lancé les dés hier, la réponse ne va donc pas de soi. Je pense qu’elle ne souhaite pas le « no deal », qui serait cataclysmique pour le Royaume-Uni (et néfaste pour l’UE), que le bras de fer peut durer jusqu’à la dernière minute, et qu’un « no deal par accident » est envisageable. Mais il me semble qu’un compromis à la onzième heure est lui aussi possible. Chacun a trop à perdre dans un divorce sec.

MarieC : Doit-on s’inquiéter pour les Français qui ont construit leur vie professionnelle en créant une entreprise à Londres et une vie de couple ou une vie de famille ?

Je ne le pense vraiment pas. La négociation crée des tensions qui sont instrumentalisées des deux côtés. Là encore, c’est une question de réciprocité. La France est, après l’Espagne, le deuxième pays d’expatriation pour les Britanniques. On voit mal les deux pays régler leurs comptes sur le dos des expatriés, après plus d’un siècle d’entente cordiale !