L’équipementier chinois est le premier fournisseur mondial d’équipements de réseaux de télécommunications et le deuxième fabricant de smartphones au monde. / Andy Wong / AP

La mise en marche du réseau 5G n’est attendue qu’à partir de 2020, mais son déploiement fait déjà l’objet d’une intense lutte géopolitique. En bonne place pour décrocher le marché d’installation de la technologie, qui permettra notamment le développement de « l’Internet des objets », dans de nombreux pays, le groupe chinois Huawei est soupçonné d’accointances avec le pouvoir à Pékin et son indépendance remise en cause.

La proximité supposée de la firme avec le président chinois, Xi Jinping, attise la méfiance de nombreux gouvernements, inquiets de trouver dans le matériel de l’équipementier des portes numériques dérobées (backdoors), permettant aux services chinois d’inspecter le contenu des communications passées hors de leur territoire. Les Etats-Unis, l’Australie, la Nouvelle-Zélande, la France et l’Allemagne ont notamment pris leur distance avec Huawei qui, de son côté, clame sa bonne foi et dément toute volonté d’espionnage.

Pour comprendre l’enjeu technologique  : 5G, la course est lancée
  • D’où vient la défiance envers le groupe chinois ?

L’omniprésence de Huawei sur le marché des réseaux de télécommunications et de la téléphonie – l’équipementier affirme vendre ses produits à 45 des 50 plus grands opérateurs mondiaux – fait craindre à de nombreux gouvernements la possibilité d’un cyberespionnage au profit de la Chine. Des inquiétudes notamment fondées sur le fait que son fondateur, Ren Zhengfei, est un ancien ingénieur de l’armée chinoise et qu’une loi appliquée depuis 2017 exige des entreprises du pays leur coopération et collaboration dans le cadre d’un effort national pour le renseignement.

En mettant en place des portes numériques dérobées dans ses équipements, Huawei pourrait techniquement avoir accès à des communications passées dans l’ensemble des pays où il s’est implanté. Si l’hypothèse d’une collaboration avec Pékin n’a jamais été étayée par des éléments concrets, elle pousse de nombreuses autorités nationales à prendre leurs distances avec le groupe chinois, quitte à développer leurs propres solutions pour mettre en place un réseau 5G efficient dans les années à venir.

La défiance exprimée à l’encontre de Huawei est aussi le résultat de la pression exercée par les Etats-Unis sur nombre de leurs alliés (Canada, Royaume-Uni, Australie, Nouvelle-Zélande) pour qu’ils reconsidèrent la possibilité d’un partenariat avec le géant chinois. Dès 2012, le Congrès américain avait qualifié Huawei, et son concurrent chinois ZTE, de « menace à la sécurité nationale » ; le retour de fortes tensions commerciales entre Washington et Pékin a fait du groupe chinois la cible des critiques de l’administration Trump, désireuse de ne pas afficher un quelconque retard technologique dans le développement de la 5G en acceptant la présence de Huawei sur son territoire.

  • Quels pays se méfient de Huawei ?

De l’enquête judiciaire aux lois sur-mesure pour écarter Huawei de leur territoire, plusieurs pays et opérateurs de téléphonie ont décidé de ne plus faire confiance au groupe chinois. Parmi eux :

  • Les Etats-Unis ont inculpé Huawei pour soupçons de violation de l’embargo américain sur l’Iran et lui reprochent d’avoir photographié et volé, en 2012, un robot de l’un de leurs principaux opérateurs, T-Mobile.
  • La France pourrait envisager de renforcer les contrôles sur les produits du groupe chinois pour des raisons de sécurité nationale. Des discussions entre Huawei et SFR sur l’installation d’équipements en Ile-de-France avaient poussé Bercy à prendre contact avec le groupe de la ville de Shenzhen. Une prudence qui a justifié le dépôt par le gouvernement d’un amendement à la loi Pacte pour renforcer les contrôles lors de l’installation d’équipement de réseaux (comme les antennes relais), sans viser spécifiquement Huawei.
  • La Pologne a annoncé l’arrestation pour espionnage d’un homme chinois employé de Huawei et d’un ancien officier polonais de la sécurité intérieure, conseiller de la filiale locale d’Orange. Ils sont soupçonnés d’avoir agi « pour le compte des services chinois et au détriment de la Pologne ».
  • L’Australie, la Nouvelle-Zélande, la République tchèque et l’Allemagne ont, chacun à leur manière, émis des recommandations pour prendre leurs distances avec des équipementiers chinois, la formulation visant directement Huawei. Le Japon pourrait également le faire dans les prochaines semaines.

Face à ces nombreuses accusations, Huawei a répété n’avoir aucune ambition d’espionnage, son président, Ken Hu, rappelant qu’il n’y avait « aucune preuve » d’une tentative d’ingérence « dans quelque pays que ce soit ».

  • Qui est Meng Wanzhou, cadre de Huawei arrêtée au Canada ?

Devant la maison dans laquelle Meng Wanzhou est assignée à résidence, à Vancouver, le 28 janvier. / BEN NELMS / REUTERS

Le sort de Meng Wanzhou, directrice financière de Huawei, est au centre des tensions entre les Etats-Unis, le Canada d’un côté, et les autorités chinoises de l’autre. L’arrestation de celle qui est aussi la fille du fondateur du groupe, à l’aéroport de Vancouver, le 1er décembre, a provoqué une onde de choc dans la diplomatie chinoise : l’ambassade de Pékin au Canada a immédiatement condamné « une grave atteinte aux droits humains de la victime ».

Interpellée à la demande de Washington, soupçonnée d’avoir masqué des opérations de son groupe visant à opérer en Iran malgré l’embargo américain, elle a été libérée sous caution, assignée à résidence et risque toujours l’extradition vers les Etats-Unis. Huawei a rejeté toute implication de sa dirigeante ainsi que les accusations des parquets de New York et de Washington.

Les relations sino-canadiennes se sont depuis détériorées, Pékin ayant condamné à mort un Canadien et en ayant arrêté deux autres, dont un ancien diplomate. Justin Trudeau, pris malgré lui dans les invectives entre la Chine et les Etats-Unis, a été contraint de demander la démission de son ambassadeur après que celui-ci a donné son avis sur la procédure d’extradition de Mme Weng, en déclarant que « ce serait super pour le Canada » que Washington retire sa demande. La justice américaine a jusqu’au mercredi 30 janvier pour la déposer.