Des manifestants détruisent un mur factice sur la frontière entre l’Irlande du Nord et la République d’Irlande, près de Newri, le 26 janvier 2019. / PETER MORISSON / AP

L’accord scellé par la première ministre britannique, Theresa May, avec l’Union européenne, le 25 novembre 2018, devait inscrire dans le marbre le principe d’un backstop, un « filet de sécurité » permettant une conservation partielle des règles des Vingt-Sept en Irlande du Nord, pour ne pas rétablir de frontière physique avec la République d’Irlande au moment de la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne (UE).

Deux mois plus tard, la disposition est toujours rejetée en bloc par le Parlement britannique qui a donné, le 29 janvier, mandat à Theresa May pour demander aux négociateurs européens son remplacement par un « dispositif alternatif », sans faire de proposition plus détaillée et alors que l’UE a exclu formellement une renégociation.

Le risque d’un « no deal », une absence d’accord au moment du départ du Royaume-Uni, prévu le 29 mars, se précise face au refus des parlementaires de faire de l’Irlande du Nord un territoire temporairement à part.

  • Quel est le problème avec la frontière irlandaise ?

Dans le cas d’une sortie sans accord du Royaume-Uni de l’UE, les 500 kilomètres qui séparent la province britannique d’Irlande du Nord de la République d’Irlande pourraient redevenir une frontière physique. Londres ayant décidé de sortir du marché unique et de l’union douanière, synonymes de liberté de circulation et de normes et droits de douane communs, des contrôles aux frontières seront nécessaires.

Or, ce retour à une frontière entre les deux pays fragiliserait les accords de paix du Vendredi saint, qui mirent fin, en 1998, à trente ans de conflit armé entre nationalistes et unionistes en Irlande du Nord. Les habitants et les entreprises des deux côtés souhaitent garder une frontière aussi invisible que possible, au moment où 31 % des exportations nord-irlandaises allaient en Irlande en 2016 et que près de 30 000 personnes passent quotidiennement de l’autre côté.

  • Qu’est-ce que le « backstop » dans l’accord négocié avec l’UE ?

La question de la frontière irlandaise fait l’objet d’un protocole entier, intégré dans l’accord difficilement négocié par Theresa May avec l’Union européenne, en novembre 2018. Il prévoit que si aucune solution n’est trouvée pour éviter le rétablissement d’une frontière physique en Irlande, à la fin de la période de transition prévue pour le Brexit, en juillet 2020, un « filet de sécurité », backstop en anglais, soit automatiquement mis en place.

Ce « backstop » transforme l’Irlande du Nord en « territoire douanier unique », dans lequel la libre circulation des marchandises permise par l’UE restera en vigueur. Il évite toute taxe douanière ou quota entre le Royaume-Uni et l’UE (pour les biens industriels et agricoles seulement), mais n’oblige pas Londres à suivre l’évolution des normes réglementaires décidée par Bruxelles. Cette union douanière bloquerait cependant toute signature de traités de libre-échange sur les biens entre le Royaume-Uni et d’autres instances que l’UE – cela pour éviter que des produits de pays tiers bénéficient d’un accès privilégié, via l’Irlande du Nord, au marché européen.

Les conséquences sont plus importantes pour l’Irlande du Nord : son statut hybride l’obligerait à respecter l’évolution des normes européennes, ainsi que les décisions de la Commission et de la Cour de justice de l’UE.

  • Pourquoi le Parlement britannique rejette-t-il cette proposition ?

Les élus britanniques invoquent des raisons de politiques internes et internationales pour rejeter en bloc les détails du protocole négocié avec Bruxelles.

D’un côté, il n’est pas question de faire de l’Irlande du Nord un territoire au statut à part dans le pays, bloqué réglementairement entre le Royaume-Uni et l’UE – sans compter que Theresa May a besoin des voix des dix députés nord-irlandais du Parti unioniste démocrate (Democratic Unionist Party, DUP) pour conserver sa majorité absolue à la Chambre des communes.

De l’autre, les partisans d’un Brexit dur jugent que ce filet de sécurité constitue une ingérence européenne dans la politique britannique : impossibilité de signer de nouveaux traités de libre-échange sur les biens, marge de manœuvre réduite sur un abaissement des normes sanitaires notamment. De plus, l’accord prévoit que la fin du « backstop » ne pourrait arriver qu’avec l’accord des Vingt-Sept, sur l’initiative des Britanniques, ce qui constitue pour les parlementaires la preuve ultime que le divorce avec l’Union européenne ne serait jamais vraiment consommé.

Irlande du Nord : la nouvelle frontière du Brexit