L’avis du « Monde » – à voir

Depuis plus de dix ans, Sébastien Betbeder traverse le paysage du cinéma français, la douceur en bandoulière et l’humour en décalé. Qu’il chronique la vie de trentenaires sur cartes postales dans Deux automnes, trois hivers (2013), ou au bout de nulle part (Marie et les naufragés, 2016), qu’il signe une trilogie ubuesque sur le Groenland, il fait toujours entendre cette petite musique lancinante, faussement naïve, dont on ne sait trop quoi penser : berceuse ou perceuse ?

D’Ulysse & Mona, son dernier long-métrage avec Manal Issa et Eric Cantona, on garde déjà la mélodie entêtante du groupe Minizza comme un avertissement : « Tu préfères passer pour un con, ou disparaître à jamais ? Tu préfères une tumeur au cerveau, ou tomber amoureux ? », etc. Car il est question de choix, jusqu’à l’écorce, entre les deux protagnonistes. Mona étudie les beaux-arts à Paris, elle a un amoureux transi mais elle est ailleurs. Elle se cherche, artistiquement. Surtout, elle est obnubilée par un plasticien renommé, qui a signé une dernière performance avant de se retirer à la campagne. Elle décide d’aller le trouver pour lui proposer ses services. En devenant son assistante, elle affirmerait sa propre identité.

La jeune femme trouve un vieux bougon qui joue seul au tennis face à une machine, et la renvoie aussi sec comme la balle. Mais en grattant un peu, elle se fait vite accepter. « C’est mon assistante », finit par dire Ulysse à ses proches. On y croit à peine et la phrase n’est peut-être qu’un reflet de notre époque qui glorifie tant les créateurs – l’artiste et « son » assistante, le réalisateur et « son » chef op, etc.

Vignettes surréalistes

C’est ainsi, on se demande toujours ce qui cache derrière chaque scène d’Ulysse & Mona. Le film avance par vignettes surréalistes, au fil de rencontres avec des personnages pas si secondaires : l’ex-femme d’Ulysse et leur fils, que le plasticien a abandonnés, le petit garçon du voisinage, si mature et déconcertant, au rôle décisif, ou encore ce braqueur ubuesque incarné par Jonathan Capdevielle, qui fait advenir l’une des scènes les plus désopilantes du film.

Avec son crayon, Sébastien Betbeder, lui-même issu des beaux-arts, trace le chemin de son tandem en contournant habilement l’histoire d’amour qui guette. Les deux écorchés font penser aux Amoureux solitaires de Lio, mais Ulysse et Mona chantent une autre chanson : « à nous deux solitaires ». Le film, c’est l’art de la rencontre. Deux solitudes se sont trouvées, et le jeu expressionniste d’Eric Cantona et de Manal Issa accentue cet effet : un seul regard et ils se comprennent. Quoi qu’il leur arrive après le générique de fin, Ulysse et Mona ne seront plus seuls…

Ulysse & Mona - FILM-ANNONCE - Au cinéma le 30 janvier 2019
Durée : 01:38

Film français de Sébastien Betbeder. Avec Manal Issa, Eric Cantona, Mathis Romani (1 h 22). Sur le Web : www.sddistribution.fr/film/ulysse-mona/143