C’est une décision qui risque d’appesantir le climat politique, déjà délétère, qui règne aujourd’hui en Côte d’Ivoire. Le député de Fresco (sud-ouest) Alain Lobognon a été condamné, mardi 29 janvier, à un an ferme de prison et 300 000 francs CFA (457 euros) d’amende pour « flagrant délit de divulgation de fausses nouvelles ».

En cause ? Un tweet. Publié par ledit député le 8 janvier, celui-ci évoquait l’arrestation imminente d’un « collègue » député, qui aurait été « ordonnée » par Richard Adou, le procureur de la République du tribunal de première instance du Plateau, la commune d’affaires d’Abidjan.

« Museler les voix dissidentes »

Trois jours plus tard, le procureur de la République donne une conférence de presse et dément le tweet : « Cette fausse nouvelle, abondamment reprise par les internautes et plusieurs organes de presse en ligne, a créé l’émoi et engendré des manifestations, des sit-in et autres appels à la violence, heureusement jugulés par les forces de l’ordre déployées dans les artères de la ville d’Abidjan. » Et le procureur de poursuivre : « J’ai donc instruit la section recherche de la gendarmerie nationale à l’effet de rechercher l’intéressé, de l’appréhender et de le conduire devant mon parquet pour être poursuivi par la loi, pour des faits de flagrants délits, de divulgations de fausses nouvelles et d’incitation à la violence, prévus et punis dans le code pénal. »

Convoqué le 15 janvier, le député Alain Lobognon est arrêté et écroué dans la foulée à la Maison d’arrêt et de correction d’Abidjan (MACA). L’immunité parlementaire de l’ancien ministre de la promotion de la jeunesse et des sports (2011-2015), pourtant maintenue par le bureau de l’Assemblée nationale ivoirienne, a été balayée par le procureur qui invoque une situation exceptionnelle, justifiée par le « flagrant délit ».

Cette arrestation est dénoncée par l’ONG Amnesty International, qui en plus du cas de Lobognon, a rappelé l’inculpation d’un militant, Daleba Nahounou, secrétaire général par intérim de la Coalition des indignés de Côte d’Ivoire (CICI), un groupement de diverses associations, et la détention pour « trouble à l’ordre public », « depuis près de trois mois » du cybermilitant Soro Tangboho, plus connu sous le nom de « Carton Noir ». Ce dernier, aurait, selon l’organisation, « subi des actes de torture infligés par des agents de police à la MACA ».

« Les arrestations arbitraires et le harcèlement judiciaire des militants et opposants ne visent qu’à museler les voix dissidentes dans un pays qui sort à peine d’élections locales émaillées de violences », dénonce pour sa part Kiné Fatim Diop, chargée de campagne pour l’Afrique de l’Ouest à Amnesty International.

Plusieurs organisations de la société civile, ainsi que deux syndicats de magistrats et le bâtonnier de l’Ordre des avocats de Côte d’Ivoire sont eux aussi montés au créneau, regrettant à tour de rôle des pressions, et des « immixtions » de plus en plus nombreuses du pouvoir exécutif dans les pouvoirs législatif et judiciaire.

« Retour de boomerang »

La Côte d’Ivoire est en plein chamboulement politique après le divorce plus que consommé entre le président Alassane Ouattara, en fin de second mandat, et ses alliés d’hier, l’ex-président de la République Henri Konan Bédié et patron du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI), et le président de l’Assemblée nationale, Guillaume Soro.

L’arrestation et le jugement express d’Alain Lobognon, proche de Soro, ainsi que les poursuites contre Jacques Ehouo, député et maire PDCI du Plateau, sont perçues par nombre d’observateurs comme d’énièmes instrumentalisations politiques de la justice.

Face à ces tout « nouveaux opposants » (PDCI et soroïstes), les militants de l’ancienne opposition à M. Ouattara, incarnée surtout par le Front populaire ivoirien (FPI) de Laurent Gbagbo, et en attente du retour définitif de leur leader acquitté par la COur pénale internationale (CPI) mais toujours incarcéré à La Haye, eux, boiraient presque du petit-lait…

« C’est le retour de boomerang », lance un militant du FPI, qui requiert l’anonymat avec ce commentaire définitif : « En ce moment, il ne faut pas trop s’afficher, on ne sait jamais. » Il ajoute : « Ces ex-alliés de M. Ouattara ont beau jeu de crier à la dictature aujourd’hui. Mais où étaient-ils lorsque, nous, nous dénoncions le sort des prisonniers politiques dans ce pays ? Ce sont eux qui l’ont mis au pouvoir, ont voté, comme un seul homme, toutes ses lois à l’Assemblée nationale. Maintenant qu’ils se chamaillent entre eux, pourquoi voudriez-vous que l’on s’en mêle ? »

Interrogé par Le Monde sur la condamnation à un an de prison ferme du député Alain Lobognon, le ministre ivoirien de la justice, Sansan Kambilé, déclare : « No comment. C’est une décision de justice. Je n’ai donc pas à y réagir. » Quant aux déclarations de l’ONG Amnesty International, ce dernier affirme qu’il « ne les [a] pas vues ».