Mercredi 30 janvier. Il fait nuit noire. La neige recouvre les abords de la salle municipale de Pussay, 2 300 habitants, dans le sud de l’Essonne. François de Rugy entre sans faire de bruit. La cinquantaine de personnes qui se tient debout au milieu de la salle note à peine l’arrivée du ministre de la transition écologique. Onze tables sont réparties de part et d’autre avec des chaises, des piles de feuilles de papier et des questionnaires.

Ce n’est pas un tournoi de bridge, mais une séance du grand débat national. La première à laquelle participe le successeur de Nicolas Hulot au gouvernement, depuis le lancement de cette consultation par Emmanuel Macron, le 15 janvier. La section locale de l’Association des maires ruraux de France a pris l’initiative d’organiser une rencontre sur le thème de la transition énergétique. Le ministre s’est greffé au rendez-vous, comme Pascal Perrineau et Guy Canivet, deux des cinq « garants » du grand débat.

Afin de rationaliser les choses, chaque table doit discuter pendant dix minutes à partir des questions posées par le gouvernement sur le site Internet du grand débat avant de produire une synthèse. Ça râle. Quelle réponse apporter au problème climatique dans sa globalité, demande par exemple le questionnaire ? « Trop vaste », expédie Grégory Courtas, le maire de la ville, qui est assis à la même table que le ministre.

La question suivante ne figure pas dans le questionnaire, et pour cause. « C’est vous qui avez fait le questionnaire ? », interroge Sylvie en fixant François de Rugy. « Oui, c’est le ministère. » « Parce que c’est fait de façon hyperculpabilisante, reproche cette jeune maraîchère et conseillère municipale de la commune. Si on en est à demander aux gens à quel moment ils peuvent ne pas prendre leur bagnole pour aller chercher leurs enfants… » Aux autres tables, on approuve. Le questionnaire, axé sur les comportements individuels, est jugé ici « restrictif », là « infantilisant », là encore « litigieux ».

« Le changement ne se vit que dans la crise »

Sophie, artiste et militante écologiste, monte au front en attaquant sur le fond du sujet. « La maison brûle, il ne s’agit pas de prendre deux trois extincteurs ou des seaux d’eau. Je suis allée sur le site du ministère – très joli site, on voit des photos de vélo, etc. – mais où est le projet global ? Nicolas Hulot avait dans ses cartons des choses de cette dimension-là. » L’offensive se poursuit. Le nucléaire ? « Polluant », estime la militante. La baisse du prix du permis de chasse ? « A quoi ça sert ? » La prime à la casse ? « Un sac de nœuds. Même les garagistes n’y comprennent rien. »

Sylvie, la conseillère municipale, s’agace de payer des impôts pour le futur métro du Grand Paris alors que son recoin d’« Ile-de-France périphérique » ne verra pas le bout d’une rame. François de Rugy encaisse en silence. « Si je ne réponds pas c’est parce que j’avais dit à monsieur le maire que ce n’est pas juste un ping-pong entre nous, parce qu’il y a beaucoup de sujets… » Monsieur le maire, qui a eu un temps sa carte à Europe Ecologie-Les Verts, s’enthousiasme en tout cas : « Le changement ne se vit que dans la crise. Profitons ! »

« On aimerait un peu de courage »

L’heure est à la synthèse. Un « gilet jaune » filme les interventions des uns et des autres avec son téléphone portable. Table 1 : « On aimerait un peu de courage. Un ministre de la transition écologique et agricole, la lutte contre l’évasion fiscale, la taxation des activités polluantes et des transactions financières. » Table 2 : « L’Etat ne joue pas suffisamment son rôle dans la transition énergétique. » Les tables 3 et 4 sont raccord avec ce que vient d’être dit à la table 2. La conclusion approche.

Un sexagénaire aux lunettes rondes prend le micro. « Les lobbies sont partout, on le sait, on écoute attentivement les émissions d’Elise Lucet. Les députés reprennent parfois leurs amendements. Il faut que la classe politique résiste à ces lobbies ! » Applaudissements nourris.

Pascal Perrineau est interpellé à son tour sur la manière dont vont être traitées les centaines de milliers, voire les millions de contributions qui vont émerger du grand débat d’ici au 15 mars. Le politologue évoque le travail de prestataires privés spécialistes de la question, et lâche une réponse qui fait s’esclaffer la salle : « Grâce à l’intelligence artificielle. » « Bravo ! Ça, ça nous met en confiance », lâche un homme, résumant le scepticisme ambiant.

François de Rugy prend finalement le micro et évoque pour sa part une possible conclusion du grand débat par un « référendum, pourquoi pas, si on a plusieurs questions qui sortent ». Mais il ne se mouille guère plus. Le ministre avait prévenu dès le départ : « Je suis venu pour écouter. »

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