Marché à Bamako. / Luc Gnago/REUTERS

Au marché de Médine, le silence et les regards méfiants semblent avoir remplacé les habituelles chaleureuses conversations entre clients et commerçants. « Nous sommes choqués », glisse un passant, en remontant la ruelle de la mosquée. Le 19 janvier, c’est ici que l’imam de ce quartier du centre-ville de Bamako a été poignardé par un commerçant connu de tous. Dans les heures qui suivirent, l’assaillant se rendit au commissariat pour avouer les faits.

« Il pensait que l’imam allait envoyer quelqu’un pour le tuer parce qu’il est homosexuel, mais ce n’était pas vrai ! Nous demandons qu’il soit condamné à mort et que la peine soit appliquée », insiste Mohamed Kébé, du Collectif des associations musulmanes du Mali. Samedi 26 janvier, le groupement religieux a organisé un grand meeting à Bamako. Plus de 3 000 citoyens se sont réunis pour réclamer au gouvernement une application réelle de la peine de mort dans le pays.

Un moratoire dénoncé

Si la peine capitale est toujours en vigueur dans les textes, elle n’a pas été appliquée depuis les années 1980. Mais ce moratoire n’empêche pas la justice de continuer à condamner à mort des prévenus. En 2018, la cour d’assises de Bamako aurait condamné douze Maliens à la peine capitale, pour des assassinats, mais aussi pour des tentatives d’assassinats et des vols qualifiés, selon l’un de ses membres. Pour les organisateurs du meeting de fin janvier, c’est précisément ce moratoire qui a entraîné une hausse de la criminalité à Bamako. En près de deux semaines, au moins deux commerçants, un conducteur de bus et un imam ont été assassinés dans la capitale.

Dans les dédales de ruelles du grand marché de Bamako, là où un des deux commerçants a été assassiné, les occupants sont excédés. « Je suis entièrement d’accord avec l’application de la peine de mort, cela dissuadera les bandits. Depuis trois ans, l’insécurité s’aggrave de jour en jour à cause de la pauvreté. Il n’y a pas assez de boulot donc les gens volent et tuent », estime Makan Dembélé, l’un des responsables du parking. Autour de lui, cinq vendeurs acquiescent.

Pour Baba Dakono, chercheur à l’Institut d’études de sécurité (ISS) de Bamako, la pauvreté, couplée à un chômage persistant et à une forte démographie dans la capitale, permet d’expliquer en partie la hausse de la criminalité. Mais il faut aussi, selon lui, la relativiser.

« Je ne pense pas qu’elle ait atteint la proportion que les gens sont en train de lui donner. On en parle plus car, contrairement à avant, dès qu’il y a une attaque ou un braquage, l’information est relayée en direct. Les actes criminels ne sont pas forcément plus nombreux, mais ils sont beaucoup plus graves. L’accès facilité aux armes et la crise de 2012 [année du coup d’Etat militaire et de la partition nord-sud] ont entraîné une banalisation de la violence. »

« Le fond du problème, c’est l’impunité »

Ni la police, ni les ministères de la sécurité et de la justice ne disent disposer de chiffres sur la criminalité à Bamako. Mais la police parle dans plusieurs communiqués publiés ce mois-ci de « prolifération des armes légères » et de « recrudescence du banditisme » dans la capitale. Les 28 et 29 janvier, une opération coup de poing a été lancée. Selon la police, 162 personnes ont été interpellées, une quarantaine d’armes à feu saisies et une usine clandestine de fabrication d’armes démantelée. Les enquêtes sont en cours.

« De toute façon, il n’y a pas de justice. Des agresseurs sont arrêtés mais demain, ils seront dehors. C’est ça, le fond du problème : l’impunité », s’emporte un commerçant du grand marché. Lui aussi pense que l’application de la peine de mort est la seule solution pour avoir la paix et la sécurité.

Selon M. Dakono, le manque de moyens alloués au système judiciaire a précipité le divorce entre les citoyens et la justice : « Les magistrats ont trop peu de ressources humaines pour faire face aux demandes. D’où cette tentation de bâcler certains dossiers. A Bamako, 80 % des détenus sont des prévenus. C’est toute la chaîne pénale qui est malade. Cela a entraîné une rupture de confiance entre la justice et des citoyens qui pensent qu’il vaut mieux se faire justice soi-même. »

Les associations musulmanes, elles, semblent bien déterminées à faire pression sur le gouvernement. Le 10 février, elles ont prévu d’organiser un meeting géant dans l’un des stades de Bamako, sous l’autorité du puissant président du Haut Conseil islamique du Mali (HCIM), l’imam Mahmoud Dicko.

« Nos coutumes et notre religion ne sont pas assez respectées par le politique et le judiciaire. Trop, c’est trop », s’indigne Mohamed Kébé. Avant de prévenir : « Nous ne sommes pas contre le régime d’IBK [Ibrahim Boubacar Keïta, le président malien] mais contre ce que ses membres font. S’ils veulent rester en place, il faut qu’ils agissent. Sans l’application de la peine de mort, nous demanderons aux Maliens de ne plus aller voter pour personne. »

Bras de fer politique

Au sein du gouvernement, ce débat au sujet de la peine capitale embarrasse. « Nous sommes pris entre deux feux. D’un côté, il y a les droits humains et, de l’autre, les réalités sociales. C’est délicat », glisse un collaborateur. D’autant plus que des élections législatives sont prévues en mai. Dans ce contexte préélectoral, le bras de fer sociétal entre l’Etat et les religieux semble avoir pris une tournure politique. « A chaque fois que le contexte est défavorable au gouvernement, les religieux l’attaquent pour faire valoir leurs positions », explique un analyste, sous couvert d’anonymat.

Le HCIM, qui chapeaute des millions de fidèles dans un pays où plus de 95 % de la population est musulmane, a déjà fait reculer l’Etat à plusieurs reprises. La dernière de ses victoires a eu lieu en décembre 2018. Le gouvernement souhaitait élaborer un nouveau manuel scolaire abordant la question de l’homosexualité. Mais, face aux pressions des religieux, le projet a été abandonné.

« Depuis l’avènement de la démocratie, aucun régime politique n’a pu résister aux religieux. Chaque bataille, ils l’ont gagnée », s’inquiète Me Moctar Mariko. Le président de l’Association malienne des droits de l’homme (AMDH) milite pour l’abolition de la peine de mort, affirmant que le projet serait sur la table du gouvernement depuis 2011.

Selon nos informations, des tentatives de rapprochement entre le chef du HCIM et le gouvernement seraient en cours. L’objectif : trouver une solution à l’amiable et ainsi clore ce débat sur l’application de la peine capitale par un maintien du statu quo, comme c’est le cas depuis près de quarante ans.