Le premier ministre, Edouard Philippe, lors de sa participation au Grand débat national de Lenax (Landes), le 31 janvier. / JEAN-CLAUDE COUTAUSSE / FRENCH-POLITICS POUR "LE MONDE"

« C’est pas sympa un p’tit débat comme ça ? Il est où le prochain ? » L’humeur badine, Edouard Philippe a grimpé dans le Falcon qui doit le ramener de l’Allier. Il vient de boucler trois heures d’échanges avec une trentaine de personnes qui étaient réunies, jeudi 31 janvier, dans la salle communale de Lenax, 260 habitants. De l’« hyper rural », diraient les technos.

Un carnet posé sur les genoux, comme sa secrétaire d’Etat, Emmanuelle Wargon, assise à côté de lui, le premier ministre a noté la liste des questions puis déroulé celle de ses réponses. Ambiance studieuse, pour ne pas dire compassée, malgré la présence de quelques « gilets jaunes », dûment fouillés à l’entrée. Déserts médicaux, pollution aérienne et maritime, désertification des centres-bourgs, traités de libre-échange... Aucun sujet n’a échappé à sa vigilance. Ou presque. « J’ai pas des réponses à toutes les questions. Madame, vous m’avez posé une question sur les semences non modifiées, je vous promets que je vais vous répondre, mais pas ce soir », lance-t-il à une femme.

« C’est beau mais c’est loin »

On l’a dit peu allant à engager le grand débat national, puis à s’y engager lui-même. Cette « introspection nationale », comme dit Emmanuel Macron, qui en attend beaucoup, l’aurait laissé « interrogatif, mais avec de l’appétit », assure une ministre. Le chef du gouvernement veut prouver, au contraire, que le doute ne plane pas. Le midi, il a fait irruption sur une péniche de Juvisy-sur-Orge (Essonne), où se rencontraient des engagés du service civique, pour encourager les jeunes à participer au débat. La semaine dernière, il était déjà apparu de manière impromptue à une séance organisée dans les Yvelines. Et cela devrait continuer, promet son entourage.

« J’ai commencé à faire des réunions de quartier au Havre en 2001. J’adore ça, je trouve ça passionnant, jure Edouard Philippe dans le Falcon qui vole vers Paris. Il y a un besoin d’expression. Avec le président, on est sur ce sujet comme sur d’autres alignés, voire même très alignés. »

D’ailleurs, il n’est pas fermé à l’idée du « débat permanent » prônée par le chef de l’Etat, et cite l’exemple du budget : « Le débat budgétaire doit avoir lieu au Parlement, mais il est un peu confiné à un débat d’experts. Il peut être enrichi. » Avis aux amateurs.

Edouard Philippe la joue tranquille, imperturbable malgré les turbulences. A l’aller, l’habitacle vivait au son des riffs du groupe Dire Straits. Sur la route qui menait à Lenax, il a fait arrêter le cortège le long d’un fossé, le temps d’une brève mais décontractée pause pipi. Et en arrivant à la salle communale, l’ancien maire du Havre s’est fendu d’un très chiraquien – et très apprécié – « c’est beau mais c’est loin ». Qu’importe si la nuit ne laissait rien voir des paysages alentours.

Prêt à « payer le prix de l’impopularité »

Dans la période, les sujets de crispation ne manquent pourtant pas. Il remet alors son masque plus austère de commis de l’Etat. La limitation à 80 km/h de la vitesse maximale sur les routes secondaires, sa mesure controversée pour laquelle il se dit prêt à « payer le prix de l’impopularité », continue de le poursuivre. Interrogé sur le sujet par les « débatteurs » de Lenax, il invoque les chiffres « historiques » du nombre de morts sur les routes françaises, qui ont connu leur plus bas niveau en 2018 : « Cette mesure, ça fait six mois qu’on l’a mise en œuvre et il se trouve qu’en six mois, on a constaté des résultats. »

« Je n’ai pas pris cette mesure pour en faire un marqueur politique. Je l’ai prise parce que j’étais convaincu qu’elle était bonne », confie-t-il après coup. Et ce même si le sujet suscite des tensions au sein de la macronie, où l’on ne cesse de s’en prendre à ce chef de gouvernement qui aurait répandu le carburant qui a permis à la crise des « gilets jaunes » de s’enflammer. Officiellement, l’Elysée le soutient.

D’ailleurs, Emmanuel Macron n’assure-t-il pas que son « premier ministre n’a pas vocation à être un fusible » ? L’intéressé ajoute volontiers une pièce dans la machine du « circulez, y’a rien à voir ». « La crise des gilets jaunes n’a pas changé notre façon de travailler, notre lecture des institutions sur ce que doit être la relation président de la République-premier ministre, souligne Edouard Philippe. Quand je nous regarde, vingt mois après, quand je regarde là où en étaient certains de nos prédécesseurs au même moment, je suis assez détendu. »

En arrivant à Matignon, en mai 2017, il avait en tête deux modèles à suivre, bien sûr, Alain Juppé et Michel Rocard, deux hommes pour qui il s’est engagé politiquement à différents moments de sa vie. Mais le juppéiste porte surtout au pinacle l’exemple de Georges Pompidou, qui est resté premier ministre du général de Gaulle pendant six ans, et n’a eu selon lui qu’un mantra : « Servir la République, servir le président de la République. » Ce qui passe, aujourd’hui, par le fait de nourrir l’ogre insatiable du grand débat national.

Notre sélection d’articles pour tout comprendre au grand débat national