Le Roundup compte parmi les vedettes des produits « phytosanitaires » potentiellement toxiques. / Yves Herman / REUTERS

Nouvelle défaite pour les partisans de la création d’un fonds de solidarité des victimes des produits phytosanitaires et, surtout, déception probable des quelque 10 000 victimes professionnelles potentielles. « J’ai honte que nous ne soyons collectivement pas au rendez-vous ce soir », concluait tristement Matthieu Orphelin, député LRM (Maine-et-Loire), dans la nuit du jeudi 31 janvier au vendredi 1er février. Il était presque 1 heure du matin, heure à laquelle, réglementairement, les travaux parlementaires doivent cesser. La proposition de loi pour « la création d’un fonds d’indemnisation des victimes des produits phytopharmaceutiques », adoptée déjà par le Sénat en février 2018, n’aura pas donc passé l’étape de l’Assemblée nationale.

« C’est la troisième fois que cette mesure est en échec, après le débat sur la loi agriculture et alimentation de mars à septembre 2018, puis la loi de financement de la sécurité sociale en novembre », déplore Dominique Potier, le rapporteur de la proposition et député socialiste (Meurthe-et-Moselle), qui à l’instar de son collègue Matthieu Orphelin, a exprimé, devant les rangs très clairsemés de l’Assemblée, « un sentiment profond de honte ». La proposition de loi était présentée dans le cadre de la niche parlementaire du Parti socialiste, mais le texte et ses amendements n’ayant pu être examinés avant l’heure de clôture, elle est donc renvoyée sine die.

10 000 victimes potentielles à indemniser

Regrettant une « incurie collective », M. Potier se satisfait néanmoins de la proposition de la ministre de la santé, Agnès Buzyn, faite à 1 heure du matin, de présenter à nouveau la création de ce fonds dans le cadre de la prochaine loi de financement de la sécurité sociale à l’automne prochain.

Pour certains députés, le fait d’inscrire la proposition de création de ce fonds en toute fin d’ordre du jour en signait l’échec. Delphine Batho, députée (non inscrite) des Deux-Sèvres, présidente de Génération Ecologie et ex-ministre socialiste de l’écologie, a ainsi tweeté sur son compte : « La loi #PhytoVictimes ne sera pas votée. Les connaisseurs du fonctionnement de l’@AssembleeNat savent qu’en inscrivant ce texte en 4e de l’ODJ et celui sur le #chlordécone en 5e, ils n’avaient aucune chance d’être adoptés. #postures #JusticePesticides ».

L’échec de cette nouvelle tentative de création de cet instrument qui devrait permettre d’indemniser 10 000 victimes professionnelles potentielles fait aussi écho aux propos du chef de l’État qui, le 24 janvier, déclarait que l’objectif de sortie du glyphosate dans trois ans, promis par lui, ne serait pas atteint. « Pas de débats, un gouvernement qui fait semblant… Les victimes méprisées ! », a ainsi réagi, vendredi matin, l’association Phyto-Victimes, créée en 2011 notamment par Paul François, un viticulteur charentais intoxiqué par un pesticide qui a porté plainte contre Monsanto.

Des points qui opposent le gouvernement aux soutiens de la proposition de loi restent à préciser

Le fonds d’indemnisation devrait, si l’on en croit la promesse de la ministre de la santé, être créé au 1er janvier 2020, date qui semble faire consensus. Il reste cependant quelques points à préciser, qui opposent pour l’heure le gouvernement et les députés supporters de la proposition de loi. Trois compromis étaient pourtant possibles, mais n’ont pas été acceptés par la ministre, analyse le député de la majorité gouvernementale, Matthieu Orphelin. Ce dernier faisait déjà partie des parlementaires qui s’étaient battus, en septembre 2018, en vain, pour inscrire l’interdiction du glyphosate dans la loi « pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire, et une alimentation saine et durable », dite loi alimentation et agriculture.

Un fonds à l’utilité pourtant incontestée

« Il faut inclure les riverains, tous ceux qui peuvent être atteints par les produits phyto[sanitaires], pas seulement les agriculteurs et leurs familles, et cet objectif pouvait être atteint d’ici 2023, par exemple. Deuxièmement, il faut que le fonds indemnise sur la base d’une réparation intégrale des préjudices des personnes atteintes de maladies, mais sur la base d’un tableau forfaitaire », explique Matthieu Orphelin. Une solution de compromis selon lui, alors que le gouvernement promeut une indemnisation strictement forfaitaire, c’est-à-dire qui est fixée indépendamment des préjudices subis par la victime.

Enfin, le troisième point concerne le financement de ce futur fonds. Plusieurs scénarios existent, incluant pour certains la Mutualité sociale agricole (MSA), les fabricants de produits phytosanitaires, les vendeurs, l’État… « Il faut que le scénario de financement soit précisé avant le 1er septembre, afin qu’il soit intégré dans les projets de loi de financement pour 2020 et que la contribution des grands groupes chimiques producteurs de ces pesticides soit la plus importante possible », avance Matthieu Orphelin.

Il faudra donc attendre encore quelques mois encore avant que ce fonds d’indemnisation, dont l’utilité n’est publiquement contestée par personne, ne voit le jour. Et une année au moins avant qu’il ne soit opérationnel. « Nous avons mis le pied dans la porte, je ne pense pas que le gouvernement puisse revenir en arrière et que la ministre nous ait menti sur l’inscription dans le prochain PLFSS de la création du fonds. Nous avons initié un processus, tout au long de ces derniers mois de bataille, avec des députés de tous les courants », se félicite le socialiste Dominique Potier.