Tribune. Nous prenons note du fait que les principaux acteurs de la communauté internationale ont, au nom de la stabilité, accepté les résultats des dernières élections en République démocratique du Congo (RDC). Ce faisant, ils font défaut à la fois au peuple congolais et aux objectifs de développement durable des Nations unies, qui préconisent des « institutions redevables et inclusives ».

Les résultats compilés par la Commission électorale nationale indépendante (CENI), divulgués à la presse, confirment ceux de l’Eglise catholique, qui avait déployé 40 000 observateurs sur la totalité du territoire : ils montrent que Martin Fayulu, le candidat de la coalition de l’opposition, a remporté l’élection présidentielle, non pas d’un fil, mais haut la main. Et pourtant, après une semaine de tergiversations et d’intenses négociations, la CENI a annoncé la victoire de Félix Tshisekedi. C’est une défaite pour la démocratie.

Un futur gouvernement sans légitimité

Dans la région comme au-delà, nombreux sont ceux qui arguent que, quels que soient ses défauts, cette élection a au moins permis de sortir de la longue présidence de Joseph Kabila, et constitue le pari le plus à même de préserver la stabilité de la RDC et, au-delà, de la région des Grands-Lacs. Il se pourrait bien qu’ils perdent sur les deux tableaux.

D’abord parce que, si Joseph Kabila a effectivement quitte ses fonctions, lui et ses acolytes continueront selon toute vraisemblance à contrôler tous les leviers du pouvoir. C’est bien sa coalition politique, ayant remporté une écrasante (et improbable) majorité de sièges aux législatives, qui déterminera en définitive le choix du premier ministre, lequel dirigera à son tour les principaux ministères et agences de sécurité du gouvernement.

Ensuite, parce que même si l’élection de Félix Tshisekedi a pu permettre d’éviter à court terme des troubles majeurs à Kinshasa, le nouveau gouvernement manquera de légitimité véritable et son autorité risque d’être mise en cause de façon répétée. Et sans cette légitimité, le nouveau gouvernement aura du mal à entreprendre les nombreuses réformes de fond dont la RDC a si urgemment besoin.

Kofi Annan a souvent rappelé que la légalité ne confère pas nécessairement la légitimité. Nous avons vu à maintes reprises des dirigeants mis en place par des manœuvres légales qui échouèrent en définitive à leur conférer la légitimité dont ils avaient besoin pour diriger efficacement leur pays, notamment en période de crise. La communauté internationale devrait s’en souvenir, au moment où elle se demande comment réagir à la crise postélectorale qui a éclaté au Congo.

Mais ce qui est plus inquiétant encore, c’est que, constatant ainsi que les élections sont impuissantes à changer les choses, le peuple congolais risque de se tourner vers d’autres méthodes pour renverser l’insupportable statu quo qui fait que la grande majorité de la population piétine dans la pauvreté tandis qu’une poignée d’individus au sommet de l’Etat amasse des fortunes. Il y a déjà des bruits de bottes à l’est, qui a un lourd passé d’insurrection. Il y a là déjà des dizaines de groupes armés actifs qui pourraient être mobilisés. De nombreux voisins de la RDC seront affectés si une nouvelle vague de violence généralisée éclate au Congo.

Investissement compromis

Depuis une vingtaine d’années, la communauté internationale a englouti plusieurs milliards de dollars en RDC pour tenter de stabiliser le pays et son environnement régional, et l’orienter vers un avenir démocratique, équitable et prospère. En acceptant passivement ce fait accompli, tout cet investissement aura été lourdement compromis.

C’est pourquoi nous appelons la Communauté de développement d’Afrique australe, l’Union africaine, l’Union européenne et l’ONU en particulier à ne pas renier les aspirations démocratiques du peuple congolais qui a voté massivement pour le changement. Il est encore temps d’insister pour que soient publiés les résultats détaillés de la CENI pour ces élections présidentielles et législatives. Entre-temps, il faut maintenir l’ensemble des sanctions en vigueur et suspendre toute extension de la coopération avec le gouvernement de la RDC jusqu’à l’émergence d’une transition crédible et respectueuse de la volonté démocratique.

Mo Ibrahim est le fondateur et président de la Fondation Mo Ibrahim.

Alan Doss est président de la Fondation Kofi-Annan.