A Dakar, manifestation de partisans du candidat Alassane Sall que le Conseil constitutionnel sénégalais n’a pas retenu pour concourir à la présidentielle du 24 février. / SEYLLOU / AFP

Clap de début, dimanche 3 février, pour la campagne électorale qui fera vivre le Sénégal au rythme des meetings, caravanes et débats politiques jusqu’au 22 février. Derrière l’organisation conventionnelle, se profile une élection singulière avec seulement cinq prétendants à la présidentielle – Macky Sall, Ousmane Sonko, Madické Niang, Idrissa Seck et El-Hadj Issa Sall – contre treize en 2012 et quinze en 2007. Une nouvelle configuration politique marquée aussi par l’absence des grands partis traditionnels.

Exit le Parti socialiste (PS), présent à tous les scrutins depuis l’indépendance du Sénégal. D’abord connu sous le nom d’UPS, celui-ci s’est maintenu au pouvoir pendant quarante ans (1960-2000) avant d’intégrer la coalition Benno Bokk Yakaar (BBY) de Macky Sall, portée au pouvoir en 2012. Une alliance de circonstance qui s’est maintenue ces sept dernières années, créant de fait des conflits internes. Le plus connu est celui avec l’ancien maire de Dakar, Khalifa Sall, condamné pour « détournement de deniers publics » et dont la candidature a été déboutée par le Conseil constitutionnel.

« Une sanction des dirigeants »

Exit également le Parti démocratique sénégalais (PDS) d’Abdoulaye Wade qui concourt au suffrage universel depuis l’ouverture au multipartisme en 1978, tout comme l’Alliance des forces du progrès (AFP) de Moustapha Niasse et le FSD-BJ de la famille Dièye qui ont brigué tous les scrutins depuis 2000. « Quel dommage pour les partis traditionnels !, déplore l’analyste politique Assane Samb. D’autant qu’ils avaient un rôle d’encadrement et de formation des électeurs. »

Si, pour le PS et l’AFP, l’absence à cette élection a été un choix, celui de rallier la mouvance présidentielle et d’investir le candidat Macky Sall, la situation est tout autre pour le PDS. L’ancien président Abdoulaye Wade, âgé de 92 ans et surnommé « Gorgui » (le vieux, en wolof) par les Sénégalais, aurait aimé faire de son fils, Karim, le prochain chef de l’Etat. Une volonté rejetée par le Conseil constitutionnel qui a mis en avant les condamnations judiciaires de celui-ci.

Résultat, le parti qui avait fait du fils prodigue son plan A et B, se retrouve pour la première fois de son histoire sans candidat. Cette situation inédite écarte les caciques du paysage politique. Mais elle agit aussi, selon le journaliste Mame Less Camara, comme « une sanction à l’encontre des dirigeants qui gèrent le parti comme leur propriété, refusent de se renouveler et de laisser s’exprimer des voix dissonantes ».

Bien que « Gorgui » soit le grand absent de la présidentielle de 2019, son ombre continue de planer sur la scène politique. Réputé être un animal politique, son retour et sa consigne de vote sont scrutés par tous. En outre, des cinq candidats qui se présentent devant le suffrage universel, trois sont héritiers du PDS. Dernier en date, Madické Niang, exclu du parti en octobre 2018 pour s’être lancé en solo après l’invalidation de la candidature de Karim Wade. Pour autant, l’ancien avocat de M. Wade revendique l’héritage de son mentor et défend un libéralisme social proche de celui de son mentor.

Tout comme M. Niang, le président sortant, Macky Sall, mais aussi Idrissa Seck étaient membres du Parti démocratique avant de créer leur organisation, respectivement l’APR et Rewmi. Une élection dominée donc par les libéraux.

Deux nouveaux visages

Face à eux, deux visages nouveaux. Celui d’Ousmane Sonko et d’Issa Sall, tous deux pour la première fois devant le suffrage des Sénégalais. Le discours aux relents nationalistes de M. Sonko - encore inconnu du public il y a peu -, prône une rupture avec le système et semble séduire de plus en plus.

Enfin dans cette nouvelle configuration, on trouve un parti d’obédience religieuse avec Issa Sall pour leader. Si au Sénégal, la religion n’a jamais été absente de la politique, c’est pourtant la première fois qu’un parti déclare son appartenance à une confrérie. En effet, le parti de l’unité et du rassemblement (PUR), rattaché aux moustarchidines, une branche rigoriste de la confrérie des tidjanes, participe au scrutin. La bonne santé du parti, créé en 1998 et arrivé quatrième aux législatives de 2017, est une surprise. Réputée pour sa discipline, la formation a ainsi pu collecter avec une certaine aisance les 53 000 parrainages nécessaires pour présenter un candidat.

Nouveau jeu politique donc, mais aussi nouvelle génération, à en croire Assane Samb. « Cela a déjà été entamé avec l’élection de Macky Sall - 50 ans à l’époque - puis les départs de M. Dansokho et Bathily, soutient l’analyste. Cela s’accentue désormais et tous les vieux vont devoir débarrasser le plancher car surgissent des hommes politiques plus jeunes avec une toute autre vision pour le Sénégal ». En effet, la moyenne d’âge de cette présidentielle est inférieure à 60 ans, avec une majorité de candidats née après l’indépendance, en 1960.

Pour autant, l’ancienne génération fait de la résistance, et tente tant bien que mal de se maintenir. Notamment dans la mouvance présidentielle. « A eux seuls, ces vieux ne peuvent plus capter un électorat qui pourrait les hisser au sommet de l’appareil d’État. C’est pourquoi, ils n’ont pas voulu s’isoler au risque de s’exposer à une mort politique totale », observe Ousmane Sène, journaliste et analyste politique.

Le ralliement de ces leaders au camp libéral sous le régime de Macky Sall confirme la mort de l’idéologie dans un espace politique qui s’effrite doucement depuis les années 1980. Une mort accélérée par les dernières migrations vers le camp du pouvoir, plus connues sous la « transhumance ».