La centrale à charbon de Lethabo, appartenant à la compagnie d’électricité publique Eskom, près de Sasolburg, en Afrique du Sud, en mars 2016. / Siphiwe Sibeko / REUTERS

Chronique. Plus de la moitié des Africains n’ont pas accès à l’électricité. Ils sont même 63 % dans les zones rurales d’Afrique subsaharienne à en être privés. Sur le continent, l’électricité coûte jusqu’à trois fois plus cher qu’en Europe ou aux Etats-Unis, expliquant en partie le retard de l’industrialisation. En raison de cette pénurie d’électricité, l’Afrique perdrait 2 à 4 points de croissance chaque année. A l’inverse, une électrification complète du continent entraînerait, selon les estimations, une hausse de sa croissance annuelle de 10 à 15 % sur une période de quinze ans.

La Chine finance l’essentiel des nouvelles capacités de production d’électricité en Afrique subsaharienne. Entre 2014 et 2017, les banques chinoises ont financé en moyenne l’équivalent de 5 milliards de dollars (4,3 milliards d’euros) par an dans des projets de production d’énergie, faisant de Pékin le premier électricien du continent. Des investissements qui ne font que croître à mesure que se construisent les infrastructures chinoises dans le cadre des « nouvelles routes de la soie ». Ce projet titanesque, qui prévoit des routes, des ports, des chemins de fer et des zones économiques spéciales aux quatre coins de la planète, ne peut fonctionner sans énergie. Là encore, la Chine apporte des projets clés en main en finançant et construisant des réseaux électriques.

Double discours de Pékin

Mais au lieu de financer des projets verts, la Chine investit essentiellement dans des solutions fossiles et polluantes. Pourquoi ? Car ces investissements servent ses intérêts économiques en lui permettant d’exporter son charbon et sa technologie. Pékin est ainsi paradoxalement le premier investisseur mondial dans les énergies vertes et le plus gros pollueur de la planète. Son économie tourne encore largement au charbon, mais elle est devenue le plus gros producteur d’énergie propre du monde, investissant énormément dans le solaire, l’éolien, l’hydroélectricité…

A mesure qu’elle se verdit, la Chine a tendance à noircir le ciel de ses partenaires, à commencer par l’Afrique. Un quart des centrales au charbon dans le monde (hors empire du Milieu) sont aujourd’hui construites ou financées par des entreprises chinoises. L’essentiel du charbon servant à produire cette électricité viendra ou vient déjà de Chine. Le pays est en effet le plus gros producteur au monde de charbon et son industrie est en surcapacité. De moins en moins utilisé en Chine, car trop polluant, ce charbon servira ainsi à faire tourner les centrales africaines.

Le dernier rapport de l’Institut d’analyses économiques et financières (IEEFA) pointe ce double discours de Pékin et les risques environnementaux inhérents au projet des « nouvelles routes de la soie ». Il rapporte ainsi que plus de 21 milliards de dollars (plus de 18 milliards d’euros) ont déjà été prêtés par la Chine pour financer l’équivalent dans le monde de 30 gigawatts de capacité de production d’électricité par des centrales thermiques au charbon.

En Afrique du Sud, au Zimbabwe, au Kenya, en Tanzanie, au Ghana ou encore à Madagascar, la Chine construit des centrales thermiques, dont les deux tiers sont considérés comme « très dangereuses » ou « dangereuses » pour l’environnement, selon l’IEEFA. Au Kenya, au Ghana et en Côte d’Ivoire, la Chine finance et construit l’intégralité des centrales thermiques. C’est 75 % en Afrique du Sud et au Zimbabwe.

Des centrales à charbon en construction

En Afrique du Sud, la Banque chinoise de développement a récemment conclu le financement de 4 milliards de dollars pour la construction de deux grandes centrales à charbon, Kusile et Medupi. Au Zimbabwe voisin, quatre centrales à charbon sont en construction avec des prêts chinois, ce qui représente là encore 2 milliards de dollars. Le Zimbabwe, qui dépense 5 millions de dollars par semaine pour importer de l’électricité d’Afrique du Sud et du Mozambique, en a certes grand besoin, mais la solution aurait dû être plus verte.

Car, dans le même temps, la Chine exporte aussi ses technologies vertes comme les panneaux solaires et l’éolien, mais aussi les centrales hydroélectriques et même nucléaires. Mais le mix énergétique du continent, qui a un besoin criant d’électricité pour avancer, n’est pas en faveur du renouvelable. Les trois quarts de l’énergie produite en Afrique sont déjà d’origine fossile, émettant par conséquent des gaz à effet de serre.

Depuis 2009 pourtant, la Chine place systématiquement les énergies renouvelables dans ses priorités de coopération avec l’Afrique. En 2009 déjà, le premier ministre Wen Jiabao avait lancé le plan « Cent centrales propres pour l’Afrique » et, lors du sommet Chine-Afrique de septembre 2018, un forum sur l’énergie a été inauguré promettant toujours plus d’investissements dans le renouvelable. Le pays joue les bons élèves dans les sommets internationaux et se vante d’être le plus important investisseur mondial dans les énergies renouvelables. Mais, en Afrique, c’est loin d’être le cas.

Le plus gros émetteur de gaz à effet de serre

On sait pourtant que revenir en arrière est difficile. Une fois qu’un pays est dépendant des énergies fossiles pour son électricité, il est très compliqué et coûteux d’assurer une transition énergétique. L’Europe en sait quelque chose. La Chine aussi qui, malgré ses investissements massifs dans ce domaine, reste très dépendante du charbon qui fait du pays le plus gros émetteur de gaz à effet de serre dans le monde.

La plupart des projets de centrales thermiques africaines analysés par l’IEEFA sont pourtant plus coûteux que leurs équivalents propres, car il faut généralement créer des infrastructures ex nihilo pour extraire ou importer du charbon, créant ainsi une dépendance structurelle à long terme. Un tiers des centrales en construction sont des coentreprises sino-africaines, avec un accent croissant mis sur la rentabilité des projets pour Pékin, ce qui implique d’exporter du charbon en Afrique.

La plupart des acteurs chinois sont publics : la Banque chinoise de développement et l’Exim Bank pour les prêts, State Grid Corporation of China pour les infrastructures, State Power Investment Corporation et Huadian Corporation pour la partie de production d’électricité. L’Etat chinois est donc directement impliqué dans cette stratégie et devrait donner un autre cap dans un souci de protection de l’environnement.

Si la Chine veut véritablement devenir l’un des leaders mondiaux dans la lutte contre le réchauffement climatique et tenir les engagements pris lors des sommets internationaux, elle devrait le faire en priorité en Afrique où elle est aujourd’hui le seul pays capable de financer et construire des réseaux verts et ainsi investir dans l’avenir du continent.

Sébastien Le Belzic est installé en Chine depuis 2007. Il dirige le site Chinafrica.info, un magazine sur la Chinafrique et les économies émergentes.