Une patiente de l’Hôtel-Dieu, à Paris, en mars 2017. / ESTELLE EMONET / AFP

« Je ne veux pas que ma fille vive ce que j’ai vécu. » Excisée à l’âge de 6 ans par sa tante en Côte d’Ivoire, Aminata (le prénom a été changé) est venue se faire examiner avec son bébé de 6 mois à l’hôpital de l’Hôtel-Dieu, au cœur de Paris, une étape cruciale dans sa demande d’asile. Comme elle, des centaines de parents étrangers en situation irrégulière réclament chaque année le statut de réfugié pour leurs fillettes, invoquant un risque de mutilation sexuelle en cas de retour dans leur pays d’origine, principalement en Afrique de l’Ouest.

Quelque 7 500 enfants sont ainsi déjà placés sous l’égide de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra). Pour l’instruction des dossiers, l’organisme demande un certificat médical attestant de « l’intégrité physique » de l’enfant, réalisé dans une unité médico-judiciaire. Celle de l’Hôtel-Dieu vient de mettre en place une consultation dédiée, grâce à une convention signée en novembre entre l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (APHP) et l’Ofpra.

« Quand je la touche elle crie »

Assise à côté de son conjoint, son nourrisson dans les bras, un bandeau couvrant ses cheveux, Aminata, 27 ans, répond timidement aux questions posées d’une voix douce par le médecin légiste Céline Deguette, en binôme avec une infirmière. Arrivée en France en 2015 pour fuir un « mariage forcé », la jeune femme relate le sévice subi, le sang qui « n’arrêtait pas de couler », les douleurs encore présentes quand elle urine… « Et pendant les rapports », déplore son mari, plus à l’aise qu’elle en français : « Quand je la touche elle crie. »

Lui n’a rejoint l’Hexagone qu’en 2016 mais vient de la même ethnie (malinké) et du « même village, dans le nord de la Côte d’Ivoire », où « l’excision est interdite » depuis 1998 mais où les « traditions » et les pressions, sociales et familiales, persistent. « On nous dit que pour que notre fille soit acceptée, il faut qu’elle soit propre. Moi je suis contre l’excision », explique le jeune père. « Ils font ça dans la forêt, avec le même couteau de génération en génération, vous imaginez ? », s’indigne-t-il, pointant le « risque de maladie » ou d’hémorragie mortelle. « Mon oncle ne veut plus me parler, il dit que c’est une malédiction. »

Vient le moment de l’examen physique. D’abord pour « la puce », comme l’appelle le médecin, qui regarde son « petit cœur, son bidou », avant de constater l’« absence de stigmates » sur ses organes génitaux. Puis pour Aminata, dont l’excision, avérée, aidera à justifier le bien-fondé de sa demande. Pour le docteur Deguette, c’est également l’occasion d’informer la patiente sur les possibilités de reconstruction chirurgicales, de la « rassurer, de faire de la prévention ». « Mon rôle n’est pas de juger leur discours », insiste le médecin auprès de l’AFP.

Entorse au secret médical

D’après Sophie Pegliasco, de l’Ofpra, les demandes d’asile liées au risque d’excision « ont fortement augmenté à partir de 2008 », aidées par la jurisprudence, l’évolution du droit et le « bouche-à-oreille chez des familles parfois installées en France depuis plusieurs années dans une situation de précarité ». L’Ofpra a alors recentré sa protection sur l’enfant, désormais seul détenteur du statut de réfugié, ses parents bénéficiant quant à eux d’un titre de séjour. Puis œuvré pour un dispositif plus sécurisé.

« Nous voulions que les examens médicaux [intégralement pris en charge par l’Ofpra] soient réalisés dans de bonnes conditions, qu’ils ne soient pas trop intrusifs ni traumatisants », explique Mme Pegliasco.

Le certificat est transmis directement à l’Ofpra par le médecin, une entorse au secret médical permise par la dernière loi asile et immigration. Il doit être renouvelé au bout de cinq ans, pour vérifier que la petite fille n’a pas été excisée a posteriori. Dans le cas contraire, rare, un signalement est adressé au procureur de la République, mais « on ne retire pas son statut de réfugié à l’enfant », pour éviter la « double peine », précise Mme Pegliasco.

Selon l’ONU, près de 3 millions de filles sont excisées chaque année dans le monde et, au total, 200 millions de filles et de femmes ont subi des mutilations sexuelles.