Dnas une manifestation d’opposition à Nicolas Maduro, à Caracas, le 2 février. / STRINGER / REUTERS

Editorial du « Monde ». A qui appartient la légitimité, entre un leader de l’opposition à la tête d’un Parlement élu mais sans pouvoir et un président qui dispose des instruments du pouvoir, mais dont l’élection est largement contestée ? Lequel de ces deux dirigeants considérer comme le chef de l’Etat, lorsque le premier, soutenu par d’importantes manifestations populaires, s’autoproclame président, tandis que le deuxième, encore soutenu par l’armée et une partie de la population, refuse de céder le pouvoir ?

C’est le dilemme auquel sont confrontés les Etats face au Venezuela depuis le 23 janvier, lorsque le président de l’Assemblée nationale, Juan Guaido, s’est déclaré président de la République, s’appuyant sur une disposition de la Constitution qui lui donne cette possibilité en cas de défaillance du chef de l’Etat. Le 10 janvier, Nicolas Maduro avait été investi pour un deuxième mandat à la tête du Venezuela à la suite d’une élection dénoncée comme irrégulière par de nombreux Etats.

Pour la communauté internationale, ce n’est pas un dilemme inédit. Le dernier exemple en date est celui de la Côte d’Ivoire qui, en 2010, s’est retrouvée avec deux présidents, Laurent Gbagbo et Alassane Ouattara, chacun revendiquant la victoire ; plusieurs Etats étrangers, notamment africains, et la France, ont pris parti dans ce conflit qui s’est réglé au profit de M. Ouattara après plusieurs mois de combats entre les forces de l’un et de l’autre et l’intervention de troupes françaises sous mandat de l’ONU.

L’UE appelle à une nouvelle élection

Le cas vénézuélien, cependant, est particulièrement complexe. Par sa dimension humanitaire, d’abord : la descente aux enfers de la population de ce pays pétrolier de 32 millions d’habitants, devenu misérable, dure maintenant depuis plusieurs années et a jeté sur les routes de l’exode quelque 3 millions d’hommes, de femmes et d’enfants. Par sa dimension régionale ensuite : cet exode, qui affecte principalement la Colombie, le Brésil et l’Equateur, présente un risque de déstabilisation évident, dans une Amérique latine soumise par ailleurs à de nouvelles divisions idéologiques, entre le président mexicain, Andres Manuel Lopez Obrador, tendance gauche antisystème, et le président brésilien, Jair Bolsonaro, tendance extrême droite.

Surtout, l’affrontement Maduro-Guaido révèle des divisions au sein de la communauté internationale qui illustrent l’évolution des clivages géopolitiques. Cuba et la Russie, présents militairement au Venezuela, soutiennent M. Maduro, héritier d’Hugo Chavez, mais aussi la Chine et la Turquie, membre de l’OTAN. Washington soutient activement Juan Guaido et a pris une série de sanctions économiques destinées à étouffer le gouvernement Maduro. Le Canada a très vite pris parti pour Juan Guaido, de même que plusieurs Etats latino-américains, le Brésil en tête. L’Union européenne a appelé à une élection présidentielle, que M. Maduro a rejetée, et la majorité de ses Etats-membres appuient le leader de l’opposition vénézuélienne.

Facteur crucial, l’armée vénézuélienne n’a pour l’instant pas basculé. M. Guaido doit poursuivre ses efforts pour parvenir à la convaincre ; le soutien pacifique d’Etats étrangers de plus en plus nombreux, à la fois de l’UE et du groupe de Lima, qui rassemble quatorze Etats latino-américains et le Canada, ne peut que renforcer sa position et doit être affirmé avec clarté. Mais dans une situation aussi volatile, une chose est sûre : une intervention militaire américaine, dont le président Trump agite la menace, serait une grave erreur.