Drôle de manifestation que celle qui, à Paris, a remonté, mardi 5 février, la rue de Rivoli jusqu’à la place de la Concorde à l’appel, notamment, de la CGT. Un parcours qui était une première pour beaucoup de militants syndicaux, plus habitués à fouler le bitume de République à Bastille. Peut-être fallait-il y voir un signe d’ouverture vis-à-vis des « gilets jaunes », que la confédération souhaitait voir défiler à ses côtés pour l’augmentation du pouvoir d’achat et la justice fiscale.

Avant le départ du cortège, son secrétaire général, Philippe Martinez, s’est d’ailleurs défendu d’avoir un discours fluctuant sur le sujet. « Nous n’avons pas changé d’avis depuis novembre, a-t-il affirmé. On a toujours dit que des convergences étaient possibles avec les gilets jaunes mais qu’on ne défilerait pas sur des mots d’ordre qui sont contraires à nos valeurs. » Et d’ajouter :

« Il n’y a aucune raison qu’on ne défile pas côte à côte, les uns derrière les autres, et ce qui est important, c’est que l’on réussisse une première journée ensemble, en semaine, parce que je trouve que le patronat est ménagé et qu’il est temps que l’on demande des comptes aux grands patrons de ce pays. »

De fait, les « gilets jaunes » étaient plus nombreux que lors de la dernière journée de mobilisation à l’appel de la CGT, le 14 décembre. « Convergence de luttes réussie », s’est félicitée la centrale syndicale en fin de journée. Quelque 30 000 personnes, selon les organisateurs, ont battu le pavé dans le calme, 18 000 selon la préfecture. Le cabinet Occurrence, mandaté par un collectif de médias dont Le Monde, a pour sa part comptabilisé 14 000 participants. Un mélange qui n’en était pas vraiment un. La plupart des « gilets jaunes » se sont rassemblés en début de cortège, reléguant le carré de tête syndical au milieu du défilé. La chasuble fluorescente était de mise. Certains brandissaient aussi des drapeaux, jaunes évidemment, bandes réfléchissantes comprises.

« Macron, rends l’ISF d’abord »

Juan, lui, avait bricolé sa propre pancarte sur laquelle il avait inscrit : « Macron voleur, rends-moi ma retraite. » Agé de 71 ans, cet ancien informaticien parisien précise d’emblée qu’il n’a « rien à voir avec la CGT », mais toutes les occasions de crier sa colère sont bonnes à prendre. « J’étais là dès l’acte I et samedi je serai de nouveau là », lance-t-il fièrement. Pour lui, le grand débat national ne servira à rien. « Ce sont des méthodes de marketing pour distraire les gens, estime-t-il. Ils savent très bien ce qu’on demande, pas la peine d’y passer deux mois. » La seule solution : « La démission du gouvernement. »

L’idée semble partagée chez les manifestants. « Macron démission », entend-on régulièrement. Le président de la République revient en boucle dans les slogans. « Macron, fumier, on va te composter », peut-on lire sur une pancarte. « Louis XVI, Louis XVI, on l’a décapité, Macron, Macron, on peut recommencer », scandent des jeunes un peu plus loin. Certains portent un petit carré de feutrine rouge épinglé à leur manteau. « C’est contre la hausse des frais d’inscription à la fac pour les étudiants étrangers », explique un jeune homme. C’est aussi l’une des raisons qui ont poussé Julie à descendre dans la rue. L’étudiante de 21 ans est mobilisée depuis le 24 novembre. Mais sa colère aujourd’hui est surtout dirigée contre la proposition de loi « anticasseurs » qui a été adoptée en première lecture à l’Assemblée dans l’après-midi. « Je suis là pour défendre le droit de manifester », précise-t-elle, en critiquant « une loi liberticide » mais également « la réponse uniquement répressive du gouvernement ».

Un petit autocollant a également beaucoup de succès : « Macron, rends l’ISF d’abord. » Christine, 48 ans, évoque d’emblée le sujet, avant d’y ajouter la « hausse des salaires pour tous », « la suppression du CICE » ou encore « la baisse du nombre de parlementaires et la fin de leurs privilèges car ils nous coûtent trop cher ». Mais l’urgence, selon elle, c’est le référendum d’initiative partagée, plus connu sous le petit nom de « RIC ». « Ca nous permettra de prendre des décisions sur tout », juge cette aide-soignante. « Ce sont toujours ceux d’en haut qui décident sans savoir ce que l’on vit », ajoute une de ses amies. « On n’est pas dans le même monde qu’eux, renchérit Christine. Ce serait bien qu’ils l’entendent ! »

Les mêmes thèmes reviennent dans la bouche d’Anne. Elle aussi vient tous les samedis, et même les dimanches avec les « femmes gilets jaunes ». Aujourd’hui, cette infirmière de 57 ans est en grève. « La seule de mon hôpital », se désole-t-elle. « Macron s’est fait élire par beaucoup de personnes qui sont ici car ils pensaient que comme il n’était pas du sérail, il changerait les choses mais il les a changées pour les riches. Alors, ils sont déçus. » Elle ne partage pas ce sentiment – elle a voté blanc en 2017 – mais finit par lâcher : « Moi, c’est si on aboutit à rien que je serai déçue… »