Dans la vie d’une majorité c’est un signal fort. Cinquante députés de La République en marche se sont abstenus mardi 5 février lors du vote en première lecture de la proposition de loi « anticasseurs ». « Aucun n’a voté contre », tentait de relativiser Gilles Le Gendre, patron du groupe majoritaire, mardi soir. « L’objectif depuis le début était que cette loi soit votée, elle l’a été largement », ajoutait le député de Paris, alors que le texte a été adopté par 387 voix pour et 92 contre. Reste qu’avec ses seules voix, le groupe LRM n’a pas la majorité absolue sur le texte. L’appui des députés de droite a été nécessaire à son adoption.

Une telle défiance à l’égard de ce texte destiné à prévenir les violences lors des manifestations, mais contesté par la gauche qui le juge « liberticide », est inédite dans la vie de La République en marche. La dernière fois que des réserves s’étaient massivement exprimées contre un texte, c’était lors de l’examen du projet de loi asile et immigration au printemps 2017. Quatorze députés LRM s’étaient alors abstenus. Un député, Jean-Michel Clément, avait voté contre et, par la suite, quitté le groupe.

Cette fois, ils sont cinq fois plus, un nombre que même les opposants les plus optimistes n’imaginaient pas. « Cela veut dire que beaucoup de députés n’ont rien dit », constatait-on dans l’entourage du groupe mardi soir. Depuis que, dimanche, dans les colonnes du JDD, le député du Val-d’Oise Aurélien Taché a annoncé son intention de s’abstenir sur le texte, plusieurs de ses collègues avaient embrayé. Ils ont été une dizaine à annoncer cette position lors de la réunion du groupe LRM mardi matin, comme l’ancienne secrétaire d’Etat à la biodiversité de François Hollande, Barbara Pompili.

« Cela montre qu’il y a des discussions dans le groupe »

Parmi les abstentionnistes figurent aussi une grande partie de ceux qui avaient déjà exprimé des réserves sur le projet de loi asile et immigration. « Il ne faut pas mettre de l’idéologie dans tout ça. Certains collègues peuvent avoir des hésitations respectables. Il n’y a pas de malaise mais un travail collectif », pondérait encore Gilles Le Gendre. « Cela montre qu’il y a des discussions dans le groupe, mais on vient de passer le texte sans ambiguïtés », abondait Florian Bachelier, député d’Ille-et-Vilaine, proche de Richard Ferrand. « C’est un peu dur », reconnaissait toutefois Jean-François Eliaou, responsable du texte pour la majorité. « Cela prête à réflexion. »

Au cœur des griefs des abstentionnistes, l’article 2 de la proposition de loi. « Ce vote est un signal en vue de la deuxième lecture », expliquait ainsi Sonia Krimi, députée de la Manche, appelant à une modification de celui-ci. Cet article ouvre la possibilité pour les préfets de prononcer des interdictions administratives de manifester, l’une des dispositions les plus contestées de ce texte. Même si les députés LRM ont introduit certains garde-fous, notamment la possibilité pour la personne concernée de contester en urgence cette décision devant un juge judiciaire, la disposition concentre les critiques. Lors des explications de vote, Laurence Vichnievsky, pour le MoDem, a rappelé qu’elle souhaitait que les interdictions de manifester ne puissent être prononcées que pour des personnes déjà condamnées, même pas définitivement. Une proposition qui a retenu l’attention de certains députés LRM ayant voté en faveur du texte en vue d’éventuelles réécritures. D’autres s’en agacent. « On dirait que certains découvrent l’existence de la police administrative », tançait un député LRM.

Le texte pourra toutefois évoluer dans les semaines qui viennent : la proposition de loi doit en effet être à nouveau étudiée par les sénateurs à partir de début mars – ils l’ont déjà votée en première lecture – avant de revenir à l’Assemblée, probablement la semaine du 20 mars.