Le pape François, lors de son arrivée dans le stade de Zayed Sport City, à Abou Dhabi (EAU), le 5 février. / VATICAN MEDIA / REUTERS

La plupart sont arrivés dans la nuit. Tous ont eu la chance d’être tirés au sort dans leur paroisse pour participer à la messe géante célébrée par le pape François au stade de Zayed Sports City, à Abou Dhabi, mardi 5 février au matin. Car la demande, parmi les quelque 10 % de chrétiens des Emirats arabes unis (9 millions d’habitants), a largement excédé les 135 000 billets d’entrée, dont 43 000 dans le stade lui-même, le reste des fidèles participant à la cérémonie à l’extérieur de l’installation sportive.

Originaire des Philippines, Kaye Anne Kesrwani vit à Dubaï depuis quatre ans et travaille dans les services. Elle s’est mariée il y a un an avec un chrétien libanais à l’église Sainte-Marie et tous deux sont venus dès la veille au soir. Pour elle, François « est une bénédiction pas seulement pour chacun de nous, mais pour nous tous ensemble, pour l’alliance des religions ». Elle se sent à l’aise aux Emirats en tant que chrétienne : « c’est un pays ouvert, ici », dit-elle. Assis non loin d’elle, Sajeer est venu du Kerala, en Inde, il y a quatorze ans. Ce restaurateur de 32 ans est venu seul à la messe. Il a la particularité d’être musulman. C’est la figure du pape François qui l’a attiré : « il est pour l’entente des religions », fait-il valoir.

Le chef de l’église catholique a parcouru dans sa papamobile les allées des fidèles à l’extérieur – dans une manifestation publique totalement nouvelle pour ce pays dont les citoyens n’ont pas le droit de quitter l’islam – puis il est entré dans le stade. Quelques instants auparavant, le speaker avait lancé aux fidèles : « Le monde regarde. Nous ne voulons pas seulement être entendus à Abou Dhabi, mais dans le monde entier. »

Dans son homélie, le pape François a fait l’éloge de l’église émiratie, composée uniquement d’immigrés venus de très nombreux horizons, à commencer par les Philippines et l’Inde. « Cette joyeuse polyphonie de la foi est un témoignage que vous donnez à tous », a-t-il dit. Puis, citant François d’Assise, il a rapporté le conseil que le saint du XIIIe siècle donnait à des chrétiens qui devaient entrer en contact avec des Sarrasins, le nom donné alors aux Arabes musulmans : « Ne faire ni procès, ni disputes. » Autant dire, rechercher la concorde. Au passage, François a, pour la première fois, fait allusion aux croisades : « A cette époque, tandis que beaucoup partaient revêtus de pesantes armures, saint François a rappelé que le chrétien part armé seulement de sa foi humble et de son amour concret. »

Un document sur la fraternité humaine

Lors de la conférence de presse tenue dans l’avion qui le ramenait à Rome, le pape François a insisté sur l’importance qu’il attache au « document sur la fraternité humaine – pour la paix mondiale et la coexistence commune », cosigné solennellement, la veille au soir, avec le grand imam de l’université d’Al-Azhar, Ahmed El-Tayeb, venu du Caire à la rencontre du pape. Ce document « condamne toute destruction, tout terrorisme », a-t-il insisté. Sur treize pages, le document expose un certain nombre de croyances et d’engagements communs à l’Eglise catholique romaine et au courant musulman dans lequel s’inscrit Ahmed El-Tayeb.

« Le terrorisme (…) n’est pas dû à la religion – même si les terroristes l’instrumentalisent »

Il affirme notamment que chacun doit jouir de « la liberté de croyance, de pensée, d’expression et d’action », ne peut être contraint à « adhérer à une certaine religion », demande de « renoncer à l’usage discriminatoire du terme minorités, qui porte en lui les germes (…) de l’infériorité » au profit du « concept de la pleine citoyenneté ». Il affirme que « le terrorisme (…) n’est pas dû à la religion – même si les terroristes l’instrumentalisent – mais est dû à l’accumulation d’interprétations erronées des textes religieux, aux politiques de faim, de pauvreté, d’injustice, d’oppression, d’arrogance. » Il demande « à tous de cesser d’instrumentaliser les religions pour inciter à la haine, à la violence ».

Dans ce document, les deux chefs religieux déplorent « l’éloignement des valeurs religieuses » du monde moderne et déclarent « adopter la culture du dialogue comme chemin, la collaboration commune comme conduite ; la reconnaissance réciproque comme méthode et critère ». Ce texte et ce voyage, a souligné le pontife, sont « un pas en avant » dans un « processus qui doit mûrir ».

Le pape reconnaît des agressions sexuelles par des prêtres contre des religieuses

Le 1er février, le mensuel féminin du journal officiel du Vatican l’Osservatore romano, Donne Chiesa Mondo, publiait un article qui racontait que des religieuses avaient été et sont aujourd’hui encore l’objet d’agressions sexuelles de la part de prêtres. Lors de la conférence de presse tenue dans l’avion qui le ramenait des Emirats arabes unis vers Rome, mardi 5 février, l’existence de ce type de scandale dans l’Eglise catholique a pour la première fois été reconnue par le pape.

« C’est vrai, c’est un problème, a déclaré François. Il y a eu des prêtres et aussi des évêques qui ont fait cela plus fortement dans certaines cultures que dans d’autres. » Il a ajouté que le Vatican travaillait « depuis longtemps » sur cette question mais qu’il ne pouvait pas garantir que cela ne se produisait plus car « ce n’est pas une chose qui se finit comme cela ». Interrogé pour savoir si le phénomène était généralisé, il a répondu : « Il y en a partout, mais dans quelques congrégations, nouvelles, et dans quelques régions, plus que d’autres. Nous sommes au travail. »

« Gestes contraires à la chasteté »

Le chef de l’Eglise catholique a indiqué que les institutions vaticanes avaient « suspendu » ou « renvoyé » plusieurs clercs pour cette raison et « dissous quelques congrégations féminines qui ont été très liées à cette corruption ». « Doit-on faire quelque chose de plus, oui ! Avons-nous la volonté ? Oui ! », a-t-il lancé. Le porte-parole du Vatican a précisé ultérieurement que le pape parlait, dans cet exemple précis, des Frères de Saint-Jean, congrégation fondée en France et dont les responsables avaient reconnu, en 2013, « les gestes contraires à la chasteté » de leur fondateur, le dominicain français Marie-Dominique Philippe, mort en 2006.

François a insisté sur la volonté déployée en son temps par le pape Benoît XVI pour s’attaquer à cette plaie. Il a « eu le courage de dissoudre une congrégation féminine qui avait un certain niveau [dans ce problème] parce que s’était installé cet esclavage des femmes, esclavage jusqu’à l’esclavage sexuel, des femmes de la part des clercs et du fondateur », a-t-il affirmé.