Quelque 800 interprètes, ouvriers et cuisiniers afghans ont travaillé pour les forces françaises entre 2001 et 2014. Menacés de mort par les talibans, qui les accusent d’avoir collaboré avec l’ennemi, des dizaines d’entre eux se sont pourtant vu refuser leur demande de visa. « La France nous a abandonnés », regrette l’un d’eux. Face aux critiques sur le traitement qui leur est réservé, les autorités entendent « faire le point et remettre un peu de rationalité » dans ce dossier sensible. « On ne nie pas qu’il y a eu des lenteurs et des complications administratives. Cela aurait-il pu mieux fonctionner ? Sans doute. Cela a-t-il complètement dysfonctionné ? Non », assure au Monde une source au ministère des armées.

Comme Emmanuel Macron s’y était engagé, les 152 anciens auxiliaires afghans de l’armée française dont la demande de visa avait été refusée en 2015 ont vu leur requête réexaminée à titre humanitaire dans le cadre d’un troisième « processus de relocalisation », qui s’est déroulé du 15 novembre au 15 décembre.

Des refus « attaquables en justice »

Sur les 180 dossiers déposés en tout, ceux qui avaient déjà quitté l’Afghanistan et vivent en exil ont été écartés d’office. Quatre-vingt-dix dossiers ont été présélectionnés, mais en définitive, seuls 51 ont obtenu une réponse positive, selon nos informations. Les entretiens se déroulaient à Islamabad, l’ambassade de France à Kaboul n’étant plus en mesure de faire fonctionner sa section consulaire. Parmi les 129 personnes recalées, « certaines avaient été invitées à se présenter à Islamabad mais ne l’ont pas fait », fait-on valoir au ministère des armées pour justifier certains refus, tout en reconnaissant que faire le déplacement était « d’une grande complexité » – elles devaient faire le voyage avec leur famille à leurs frais et dans des conditions périlleuses.

Les autres se sont vu refuser leur demande de visa « sur le seul critère de la menace pour la sécurité publique », assure la même source. Or, selon Caroline Decroix, vice-présidente de l’Association des interprètes afghans de l’armée française, « seuls quatre auxiliaires afghans ont reçu une réponse négative pour cette raison, mais les autres ne savent pas pourquoi, ils n’ont pas eu de réponse, ce qui équivaut à un refus implicite ». Depuis une décision du Conseil d’Etat rendue le 1er février, qui considère que ces personnels civils peuvent légitimement solliciter du ministère des armées « une protection fonctionnelle », ces refus sont toutefois « attaquables en justice », précise Mme Decroix.

Critères opaques

Les critères pour l’octroi des visas sont restés très flous tout au long du processus. Tout s’est déroulé dans l’opacité, car il relevait d’une procédure ad hoc, c’est-à-dire selon le bon vouloir des autorités, sans contrôle d’un juge administratif. Les ministères des armées, de l’intérieur et des affaires étrangères, qui gèrent conjointement le dossier, n’ont pas non plus donné d’informations aux anciens auxiliaires afghans sur les droits auxquels ils pouvaient prétendre.

« L’objectif du président, c’est de traiter ce dossier avec humanité et responsabilité, mais c’est très compliqué d’entrer en contact avec les anciens personnels civils », plaide-t-on au ministère des armées. Les autorités ne leur ont pourtant jamais fourni non plus de point de contact. Pour y remédier, « une adresse e-mail va être créée assez rapidement afin qu’ils puissent avoir un contact direct avec le ministère des armées », annonce la même source.

Sur les 51 personnes dont le dossier a été accepté dans le cadre de cette troisième campagne de relocalisation, 21 sont d’ores et déjà arrivées en France. Les autres suivront « d’ici quelques semaines » et seront prises en charge avec leurs familles, soit 218 personnes en tout, à qui l’Etat fournira un logement et un accompagnement social. Les deux précédents processus, en 2012 puis 2015, avaient conduit à l’accueil de 176 auxiliaires afghans en France, soit 550 personnes en incluant les familles.