Donald Trump, devant son vice-président, Mike Pence, et la speaker, Nancy Pelosi, lors de son discours sur l’état de l’Union, le 5 février, à Washington. / DOUG MILLS/AFP

Editorial du « Monde ». Les Etats-Unis ont un président rassembleur, équanime et soucieux du bien commun. Malheureusement, ce président ne s’exprime qu’une fois par an, lors du discours sur l’état de l’Union. On force à peine le trait en dressant ce constat. Donald Trump avait alimenté une première fois les espoirs d’une présidentialisation le 28 février 2017, puis de nouveau le 30 janvier 2018. Mardi 5 février, il s’est montré capable une nouvelle fois de prendre de la hauteur en dessinant des horizons mobilisateurs, qu’il s’agisse de vaincre le sida « aux Etats-Unis et au-delà » d’ici à dix ans, ou bien de lutter contre les cancers infantiles. Et il a su globalement s’écarter d’une base électorale étroite pour s’adresser au plus grand nombre.

En politique étrangère, M. Trump n’a pas renoncé à un unilatéralisme qui déstabilise de vieilles alliances et qui inquiète, y compris au sein des rangs républicains. Mais il s’est gardé d’attaques trop appuyées contre un ordre mondial fragilisé. Il a même énoncé une évidence en assurant que « les grandes nations ne livrent pas des guerres sans fin » dans une allusion à l’engagement américain en Afghanistan. Reste à savoir si l’empressement à en finir ne risque pas d’empêcher un débat pourtant indispensable, voire de compromettre un inéluctable après-retrait américain.

Appels à l’unité

Ce Donald Trump n’a pourtant que bien peu en commun avec celui du quotidien ; celui qui houspillait le matin même le chef de la minorité démocrate du Sénat, Chuck Schumer ; celui qui assurait, le 1er février, que la speaker également démocrate de la Chambre des représentants, Nancy Pelosi, « devrait avoir honte d’elle-même » pour oser lui résister ; et celui qui accuse son opposition soi-disant convertie au « socialisme radical » de vouloir transformer les Etats-Unis en Venezuela de l’hémisphère Nord.

Il vaut mieux avoir mauvaise mémoire pour prêter l’oreille aux appels à l’unité du président. M. Trump a élaboré une réforme fiscale massive, adoptée en décembre 2017, sans jamais y associer les démocrates. Après s’être engagé à respecter un accord bipartisan sur l’immigration, il y a un an, il a immédiatement torpillé un compromis qu’il jugeait trop laxiste. Il s’est enfin engagé dans un gel partiel du gouvernement fédéral qui s’est achevé en fiasco, pour lui, trente-cinq jours plus tard, contre l’avis des responsables républicains du Congrès.

Pour le malheur des Etats-Unis, leur président ne semble exulter qu’en campagne, lorsqu’il peut s’affranchir de l’aridité des faits pour leur substituer les fictions qu’il juge plus séduisantes. M. Trump aurait pourtant tout à gagner à se couler plus souvent dans les habits de l’orateur du Congrès. Les élections de mi-mandat, marquées par une déroute républicaine à la Chambre, ont relativisé sa victoire de 2016. Une dépendance trop forte vis-à-vis d’un électorat majoritairement masculin, blanc, âgé et non diplômé, n’est pas la garantie d’une réélection.

Le président des Etats-Unis peut espérer qu’une course à l’investiture démocrate disputée, faute de favori, affaiblisse son futur adversaire. Mais, pendant qu’il s’obstine à parler d’un mur qui ne convainc toujours qu’une minorité d’Américains, les démocrates installent un débat où il n’est pas en position de force, à l’occasion de la « primaire invisible » qui va courir jusqu’aux votes de l’Iowa, dans un an. Climat, protection sociale, égalité fiscale, les thèmes qui s’esquissent concernent une majorité d’Américains. Mais il n’en a pratiquement pas dit un mot mardi.