Les locaux de « Mediapart », à Paris, le 4 février. / PHILIPPE LOPEZ / AFP

Sur la base de quels éléments le procureur de Paris, Rémy Heitz, a-t-il fondé sa tentative de perquisition dans les locaux de Mediapart ? Lundi 4 février, deux magistrats du parquet s’étaient présentés dans le cadre d’une enquête ouverte notamment pour « atteinte à la vie privée », afin de saisir des éléments liés aux enregistrements clandestins d’une conversation entre l’ancien conseiller du président de la République, Alexandre Benalla, et Vincent Crase, ex-employé de La République en marche, publiés la semaine précédente par le site d’information.

Ces enregistrements datant du 26 juillet, dans lesquels M. Benalla se prévalait du soutien d’Emmanuel Macron, tendent à établir qu’il a violé son contrôle judiciaire.

Face au tollé provoqué par cette perquisition – avortée en raison du refus de Mediapart d’obtempérer, comme la loi l’y autorise –, le parquet avait précisé avoir été « destinataire d’éléments ayant justifié l’ouverture d’une enquête préliminaire », sans plus de précisions. Plusieurs sources avaient ensuite expliqué que ces informations ne provenaient ni d’Alexandre Benalla, ni de Vincent Crase. De qui, alors ?

Dans un article publié mercredi 6 février, Mediapart affirme que les informations en question provenaient de Matignon. Selon le site, la perquisition a été déclenchée après que les services du premier ministre ont transmis au parquet, vendredi 1er février, des éléments qu’ils tenaient eux-mêmes de l’hebdomadaire Valeurs actuelles.

Jeudi 31 janvier, dans la foulée de la publication des enregistrements de MM. Benalla et Crase, Valeurs actuelles avaient adressé deux questions à Matignon : « L’hebdomadaire croit savoir que la conversation enregistrée entre Benalla et Crase a eu lieu dans l’appartement de la responsable du Groupement chargé de la sécurité du premier ministre, le GSPM, et se demande si les enregistrements révélés par Mediapart ne seraient pas des écoutes administratives – comprendre : réalisées par un service de renseignement », écrit le site d’information.

Contacté par Le Monde, le journaliste en question, Louis de Raguenel, ancien membre du cabinet du ministre de l’intérieur Claude Guéant et auteur d’un entretien d’Alexandre Benalla dans Valeurs actuelles le 19 octobre, confirme les éléments avancés par Mediapart. Il précise avoir posé à Matignon « beaucoup d’autres questions » que les deux cités dans l’article :

« Cela fait longtemps que j’enquête sur l’affaire Benalla. Je voulais savoir dans quelles circonstances l’enregistrement de Benalla et Crase avait été fait. D’abord pour savoir qui participait à la scène et où, pour pouvoir la décrire. Et aussi pour savoir si des services étatiques avaient été mobilisés : la bande provient-elle d’une écoute ou d’une sonorisation clandestine ? L’idée n’était aucunement d’enquêter sur les sources de « Mediapart » ni de savoir comment ils ont eu accès à l’enregistrement. Je n’ai fait que mon travail et posé des questions. »

Sollicité par Le Monde, Matignon confirme cet épisode et reconnaît avoir ensuite transmis ces éléments au parquet de Paris, dans un souci de « transparence » :

« Plusieurs journalistes nous ont contactés jeudi et vendredi pour tenter d’établir un lien entre la chef du GSPM, son conjoint, et la rupture du contrôle judiciaire de MM. Benalla et Crase. Matignon a donc procédé à de premières vérifications. Il en ressort que la chef du GSPM dément être impliquée d’une quelconque façon dans la rupture du contrôle judiciaire de MM. Benalla et Crase. Elle affirme connaître M. Benalla, mais ne jamais avoir rencontré M. Crase et qu’à sa connaissance celui-ci n’est jamais venu à son domicile. Elle dément également que son compagnon ait pu organiser cette rencontre chez elle en son absence. »

Matignon précise avoir vérifié qu’« aucune écoute administrative n’avait été autorisée concernant les protagonistes cités pendant la période des faits ». Les services du premier ministre ont ensuite « bien évidemment transmis l’ensemble de ces informations au procureur de Paris », chargé de l’enquête :

« Il ne s’agit en aucun cas d’un signalement ou d’un article 40 [du code pénal, qui oblige toute autorité à signaler des crimes ou délits dont elle a connaissance]. Il s’agit simplement de partager en toute transparence avec la justice des éléments de réponse transmis à la presse et qui sont susceptibles de concerner une affaire judiciaire en cours. Qui comprendrait que Matignon réserve à la presse des informations que la justice pourrait estimer utiles ? »

C’est donc sur la base de cette « alerte » de l’exécutif que le procureur de la République aurait ouvert une enquête pour « atteinte à l’intimité de la vie privée » et « détention illicite d’appareils ou de dispositifs techniques de nature à permettre la réalisation d’interception de télécommunications ou de conversations », puis déclenché une perquisition, sans qu’aucune plainte n’ait été déposée.

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