Est-ce un naufrage, ou l’expression crue de la vérité des instances sportives ? En affirmant lundi 4 février que l’organisation des événements sportifs était plus simple dans les dictatures, Gianfranco Kasper, président de la Fédération internationale de ski (FIS), s’est fait remarquer à l’ouverture des championnats du monde de ski alpin. Ses doutes sur la réalité du réchauffement climatique n’ont pas, non plus, amélioré sa réputation auprès des skieurs.

A 75 ans, le Suisse Gianfranco Kasper incarne les dirigeants d’antan du monde sportif, ceux qui ne sont ni anciens athlètes ni hommes d’affaires. Jadis étudiant en philosophie, psychologie et journalisme, correspondant d’un journal local dans le canton des Grisons, il s’était, faisant la promotion de la station de Saint-Moritz, rapproché du président de la FIS Marc Hodler.

Voilà quarante-quatre ans qu’il dirige la Fédération internationale de ski, d’abord comme secrétaire général omnipotent (1975-1998), puis comme président. Et les précautions oratoires n’ont jamais été son fort, comme l’a rappelé son entretien au journal suisse Tages-Anzeiger.

Louant la qualité de l’organisation des Jeux olympiques d’hiver de Sotchi, en 2014, et la rapidité des travaux préparatoires de Pékin 2022, Gianfranco Kasper a comparé cette efficacité aux défaites successives des comités organisateurs dans les référendums sur l’accueil des JO, organisés dans les démocraties occidentales.

« Les dictatures peuvent accomplir de telles choses, organiser de tels événements. Elles n’ont pas besoin d’en référer au peuple (…) Tout est plus facile avec les dictatures pour nous. D’un point de vue économique, je veux simplement aller dans des dictatures, je ne veux pas débattre avec des défenseurs de l’environnement. »

Le Comité international olympique (CIO) a pris ses distances avec ces propos, qui reflètent pourtant l’appétence de ses membres pour les régimes autoritaires. Les Jeux 2008 et 2022 ont été attribués à la Chine, ceux de 2014 à la Russie, et certaines fédérations internationales aiment à organiser leurs championnats du monde en Russie, dans les ex-républiques soviétiques d’Asie centrale (Azerbaïdjan, Ouzbékistan ou Kazakhstan) ou dans les monarchies du Golfe.

« Le prétendu réchauffement climatique »

Dans cet entretien, le dirigeant polyglotte a également évoqué « le prétendu réchauffement climatique », constatant, par un raisonnement trumpien, qu’il faisait – 35 degrés Celsius au début des Jeux olympiques de Pyeongchang. « Il n’y a pas de preuve. Nous avons de la neige. Et parfois beaucoup (…) Il faisait plus froid chaque année dans les années 1960 et 1970. Mais bien sûr, je crois au réchauffement climatique… », ironise-t-il.

Monument du ski alpin sur le départ, le Norvégien Aksel Lund Svindal n’a pas dissimulé son agacement quant à ces propos « tellement stupides qu’ils se passent de commentaire, car n’importe qui sur cette planète comprend que c’est une connerie absolue ». Le slalomeur suisse Daniel Yule a vu dans ces déclarations « une preuve de la distance qui sépare M. Kasper de notre sport ». « S’il nous rendait visite ne serait-ce qu’une fois l’été, il verrait à quel point nos glaciers disparaissent et à quel point l’avenir du ski est menacé. »

Comme l’a rappelé Daniel Yule, comme le disait son homologue Victor Muffat-Jeandet en novembre 2018 dans Le Monde, les skieurs se plaignent fréquemment de ne pas être entendus par leurs dirigeants.

Une dérogation pour rester au CIO

En mai 2018, Gianfranco Kasper a été réélu par acclamation, sans adversaire, pour un sixième mandat à la tête de la FIS, jusqu’en 2022. Aucune limite de mandat ni d’âge n’existe dans les règlements de la FIS, mais le Suisse s’est engagé récemment dans la Tribune de Genève à ne pas solliciter de nouveau mandat à 79 ans, « contrairement à [Sepp] Blatter ». Il avait dit la même chose en 2014, après sa cinquième élection, avant de se représenter quatre ans plus tard.

Le CIO soigne celui dont la fédération représente la moitié des athlètes engagés aux JO d’hiver : elle lui a d’abord accordé une dérogation pour qu’il en reste membre jusqu’à ses 74 ans – au lieu de 70 ans –, au sein de la commission exécutive, puis lui a accordé le titre de membre honoraire à l’automne 2018. Il a aussi représenté les fédérations sportives au conseil exécutif de l’Agence mondiale antidopage.

Même dans les cercles olympiques, pourtant peu enclins au jeunisme, Gianfranco Kasper est le témoin d’une autre époque.

Celui dont la fédération compte deux femmes dans son organigramme – sur 20 membres – s’est plusieurs fois signalé par des propos misogynes, comme à la Tribune de Genève, qui l’interrogeait sur l’organisation des circuits de ski alpin masculins et féminins : « C’est commercial, ce sont les hommes qui paient, comme dans la vie ! »

La FIS a longtemps bloqué l’ouverture aux femmes du saut à ski : Gianfranco Kasper estimait que l’exercice pourrait « ne pas être approprié pour les filles d’un point de vue médical », relayant l’idée – fantaisiste – selon laquelle les sauteuses pourraient souffrir d’un prolapsus génital (« descente d’organes »).

Certaines de ses déclarations outrancières sont passées plus inaperçues, comme celle-ci en 2017 : Gianfranco Kasper, dont la fédération s’est fait remarquer par son inaction dans le scandale du dopage d’Etat en Russie, avait comparé une éventuelle punition collective des athlètes russes au sort des Juifs sous le IIIe Reich. « Je suis contre la pratique de punir des innocents. C’est Hitler qui faisait cela, en qualifiant de coupables tous les Juifs… Et tous les Juifs ont été tués… », avait-il dit à l’agence de presse russe R-Sport.