Sur le campus de la Bordeaux-KEDGE Business School. / KEDGE BS

Surchargé et détourné de ses fonctions initiales, l’enseignement supérieur court et professionnalisant – en particulier les instituts universitaires de technologie (IUT) et les licences professionnelles – est à un tournant. Le diagnostic a été posé : ces filières insèrent de moins en moins leurs diplômés sur le marché du travail et sont devenues des tremplins vers les études longues – les bacheliers généraux sont de plus en plus nombreux à s’y intéresser.

En outre, les jeunes qui décident de s’insérer sur le marché du travail à bac + 2 et bac + 3 obtiennent des niveaux d’emploi insuffisants, qui ne sont pas, pour 45 % d’entre eux, en adéquation avec leur formation. Alors même qu’il existe des besoins sur le marché du travail. Ces deux constats ont conduit le ministère de l’enseignement supérieur à lancer en octobre une concertation sur la modernisation des formations courtes postbac.

Mission d’insertion professionnelle

A l’issue d’une consultation de divers acteurs, un rapport a été remis à la ministre, Frédérique Vidal, le 31 janvier 2019. Il propose de réorganiser l’accueil des étudiants dans ces formations et « de faire en sorte d’améliorer leur réussite », précise François Germinet, président de l’université de Cergy-Pontoise et corapporteur du texte. En particulier pour les bacheliers technologiques qui s’engagent dans les IUT, et s’y trouvent en concurrence avec des bacheliers généraux.

« Il s’agit de rééquilibrer progressivement à 50/50 la part des diplômés qui entrent sur le marché du travail et celle qui continue les études », François Germinet

Deuxième objectif : recentrer ces formations courtes sur leur mission d’insertion professionnelle, les besoins en professions intermédiaires étant réels du côté des entreprises. Or, actuellement, 90 % des titulaires d’un diplôme universitaire de technologie (DUT) poursuivent leurs études. « Il ne s’agit pas de fermer cette possibilité, mais de rééquilibrer progressivement à 50/50 la part qui entre sur le marché du travail et celle qui continue les études », énonce François Germinet.

Diverses passerelles

Pour mieux former les étudiants et s’adapter aux besoins du marché, les DUT, actuellement en deux ans, devraient ainsi voir leur cursus allongé à trois ans. Un chantier qui, selon toute vraisemblance, ne débutera pas avant la rentrée 2020. Autre préconisation : les programmes auraient un plus faible caractère national (70 % des contenus, contre 80 % actuellement).

Enfin, diverses passerelles devraient être facilitées tout au long du cycle. Avec la question – que devra trancher le ministère – d’une certification intermédiaire à bac + 2. Un moyen de « sécuriser les parcours », autrement dit de conserver l’attractivité du DUT pour les publics les plus fragiles, qui pourraient être échaudés à l’idée de s’engager dans une voie pour trois années, « que cela soit pour des raisons sociales, financières ou géographiques », précise le rapport.

Ce DUT, plus long mais plus souple, sera « plus adapté à l’individualisation des parcours », souligne Rodolphe Dalle, l’autre rapporteur, président de l’Assemblée des directeurs d’IUT (Adiut). Le réseau attend désormais les décisions du ministère avant de s’atteler à la lourde tâche de refonte de tous les programmes.

Une licence pro étalée

Autre chantier parallèle : la réforme de la licence professionnelle. Ces formations pourraient être étalées sur trois ans (actuellement, ce ne sont que des troisièmes années de licences). Avec, selon les cas, des intégrations possibles en deuxième ou troisième année. Certaines de ces licences pro (les moins spécialisées) s’inséreraient dans les nouveaux parcours en trois ans des DUT. D’autres garderaient leur filière propre.

Reste à savoir quelles conséquences cette réorganisation aura sur le recrutement des grandes écoles. Nombre d’entre elles puisent en effet dans les viviers des BTS, DUT et licence pro pour remplir leurs promotions avec des « admissions parallèles », qui constituent souvent plus de la moitié des effectifs. Au lieu d’aller chercher des candidats à la sortie des DUT, « ces écoles pourraient recruter à bac + 2 dans les doubles licences, et développer le recrutement à bac + 3 en licence générale », préconise François Germinet. Ce qui semble convenir au président de l’Adiut : « On ne peut pas demander aux IUT d’être à la fois des acteurs importants de l’insertion professionnelle tout en alimentant de manière significative les écoles en diplômés ! »

Le bachelor en attente d’un « grade de licence »

Autre sujet brûlant dans ce paysage : le bachelor. Les établissements de la Conférence des grandes écoles (CGE) réclament l’attribution par l’Etat du « grade de licence » (un label de qualité) de leurs programmes bachelor. A la manière du « grade de master » qu’elles ont obtenu pour leurs diplômes bac + 5.

Lire aussi : Le bachelor, une licence très privée ?

Les bachelors, cursus postbac en trois ou quatre ans, se sont énormément développés ces dernières années dans les écoles de commerce et d’ingénieurs. Leurs diplômés peinent parfois à poursuivre leurs études, en cycle master à l’université ou à l’étranger, faute de reconnaissance officielle de leur diplôme dans le système public. Et les familles peuvent être désorientées par une offre privée foisonnante et peu contrôlée. Ce dossier est porté par la CGE depuis plusieurs années, et le ministère de l’enseignement supérieur semble désormais prêt à l’étudier.

« Diplôme roi »

« Le bachelor est venu rebattre les cartes, avec une forte appétence des jeunes et des familles, mais aussi des entreprises, pour ces formations », reconnaît François Germinet. Mais les rapporteurs se montrent très prudents envers ces formations coûteuses, qui entrent clairement en concurrence avec les DUT, les BTS et les licences. Leurs arguments : ces bachelors sont des formations très hétéroclites du point de vue de leur qualité. L’usage du terme « bachelor » n’est en effet pas protégé (contrairement à celui de master). « Les bachelors se développent, y compris dans des établissements hors de la Conférence des grandes écoles », constate Anne-Lucie Wack, la présidente de la CGE.

« Il faut qu’un système d’accréditation garantisse la qualité de ces formations et devienne un gage de confiance pour les familles », Anne-Lucie Wack

« Ce n’est guère étonnant, c’est le diplôme roi à l’international. Il faut qu’un système d’accréditation garantisse la qualité de ces formations et devienne un gage de confiance pour les familles. » Ces formations seraient examinées par l’Etat selon plusieurs critères – encore à déterminer –, à commencer par la qualité académique, les liens avec l’entreprise ou le niveau d’insertion professionnelle. Ce dossier est désormais entre les mains de Jacques Biot, ancien président de Polytechnique, et Patrick Lévy, président de l’université de Grenoble-Alpes, chargés par Frédérique Vidal de rendre un rapport sur le sujet courant février.