Le président sud-africain Cyril Ramaphosa lors de son discours sur l’état de la nation devant le Parlement réuni au Cap, le 7 février 2019. / RODGER BOSCH / AFP

Les partis étaient déjà en campagne, mais la date n’était pas encore fixée. Jeudi 7 février, le président Cyril Ramaphosa a mis fin au suspense : dans son discours annuel sur l’état de la nation devant le Parlement réuni au Cap, il a fixé les élections générales au 8 mai. S’ouvre ainsi la dernière ligne droite d’un cycle électoral commencé par son accession à la tête du parti au pouvoir en décembre 2017. Un scrutin au terme duquel il espère être confirmé à la présidence de l’Afrique du Sud.

Vingt-cinq ans après la fin du régime de l’apartheid, la « nation arc-en-ciel » se prépare aux élections les plus disputées de sa jeune histoire démocratique. Le parti de Nelson Mandela, le Congrès national africain (ANC), miné par les divisions internes et une série de scandales de corruption sous la présidence de Jacob Zuma (2019-2018), est confronté à une profonde désaffection de son électorat. Lors des municipales de 2016, le parti de libération n’a recueilli que 54 % des voix et a perdu des grands centres urbains comme Johannesburg et Pretoria. Il risque aujourd’hui de perdre sa majorité au Parlement.

« Une aube nouvelle »

L’arrivée au pouvoir de Cyril Ramaphosa a néanmoins permis de contenir cette dégringolade. Ce proche de Nelson Mandela, ancien syndicaliste devenu homme d’affaires, a succédé à Jacob Zuma il y a exactement un an, lorsque son prédécesseur a été poussé dehors par l’ANC au terme d’un énième psychodrame retentissant. Intronisé la veille du discours annuel sur l’état de la nation – un moment déterminant de la vie politique sud-africaine –, il a promis « une aube nouvelle » à un moment où l’Afrique du Sud est en plein doute, minée par une économie morose et des tensions sociales et raciales ravivées.

A bien des égards, le nouveau président respecte ses engagements, même si les résultats, du point de vue de la lutte contre la corruption et du redressement de l’économie, se font désespérément attendre. D’après le dernier sondage Ipsos de décembre 2018, l’ANC remporterait 60 % des sièges de députés, de quoi s’assurer une majorité confortable au Parlement. Mais des inconnues persistent, compte tenu du rajeunissement du corps électoral, alors même que les plus jeunes sont confrontées à la faillite du système éducatif et à un chômage record. Pour le président Ramaphosa comme pour l’ANC, l’élection va s’articuler autour de quatre enjeux.

1. Tourner la page des « années Zuma »

Depuis que l’ANC est entrée en campagne, début janvier, Cyril Ramaphosa ne retient pas les coups à l’encontre de son prédécesseur et de son héritage. « Les Sud-Africains ont pu observer à quel point, ces dernières années, l’ANC a fait fausse route, a-t-il déclaré le 12 janvier, à la veille de présenter le programme du parti devant 80 000 militants réunis à Durban. Nous admettons que des erreurs ont été commises et que, dans certains domaines, le progrès a stagné. »

Mais Jacob Zuma garde de forts soutiens au sein du parti et une foule de partisans dans son fief du Kwazulu-Natal. Et loin de disparaître complètement des écrans radars, l’ancien président prend un malin plaisir à se rappeler au bon souvenir de ses congénères. Mi-décembre, il a fait une entrée remarquée sur Twitter, d’où il n’hésite pas à apostropher ses camarades et à régler ses comptes, pour le plus grand régal de la twittosphère sud-africaine.

« L’ANC reste profondément divisée et fait face à un grand dilemme : beaucoup de ses hauts responsables sont compromis dans des affaires de corruption et le parti n’arrive pas à s’en débarrasser. C’est donc d’autant plus dur de demander aux électeurs de lui renouveler leur confiance », décrypte l’analyste Susan Booysen, spécialiste de l’ANC.

2. Endiguer la corruption

Dans son adresse au Parlement, jeudi soir, le président a renouvelé la promesse qu’il martèle depuis qu’il s’est porté candidat à la tête du parti : « Nous sommes déterminés à soigner notre pays des effets corrosifs de la corruption et à restaurer l’intégrité de nos institutions. » Cyril Ramaphosa a été particulièrement salué pour sa nomination de la procureure Shamila Batohi à la tête du parquet général, rendu inopérant sous Jacob Zuma. Celle-ci aura du pain sur la planche, puisque pas moins de quatre commissions d’enquête judiciaire travaillent simultanément à faire toute la lumière sur les différentes malversations qui tiennent la presse en haleine depuis de long mois.

Le président a également annoncé un renforcement des moyens mis à la disposition du parquet, alors que pour l’instant personne n’a été formellement condamné. D’autant que le dernier scandale en date, Bosasa, du nom d’une entreprise de sécurité privée qui aurait arrosé plusieurs années durant des hauts responsables de l’ANC, des ministres du gouvernement actuel, et à nouveau Jacob Zuma, montre que le fléau de la corruption est profondément enraciné.

3. Relancer l’économie et diminuer le chômage

L’euphorie de l’arrivée au pouvoir de Cyril Ramaphosa, pourtant adoubé par les milieux d’affaires, aura été de courte durée. L’économie est entrée en récession technique en 2018, et avec 0,7 % de croissance prévue pour 2019, les perspectives de court terme ne sont guère réjouissantes. Jeudi soir, l’ancien homme d’affaires a annoncé avoir levé 20 milliards de dollars (plus de 17 milliards d’euros) d’investissements sur l’objectif de 100 milliards en cinq ans qu’il s’est fixé. Il a également promis 250 000 emplois, alors que le chômage se maintient à 27,5 %.

4. Réformer la terre

Sujet le plus épineux de la campagne électorale, la réforme de la terre déchaîne les passions depuis de longs mois dans un pays miné par les inégalités. Vingt-cinq ans après la fin de l’apartheid, 73 % des exploitations agricoles sont toujours aux mains de la minorité blanche, qui représente 8 % de la population.

Après avoir jeté le feu aux poudres à l’été 2018 en annonçant que son parti procéderait à une modification de la Constitution pour permettre l’expropriation sans compensation des terres, Cyril Ramaphosa peine à rassurer les investisseurs. La mesure est vue comme purement électoraliste et destinée à faire revenir des électeurs séduits par l’extrême gauche dans le giron de l’ANC. Dans son adresse au Parlement, le président est néanmoins resté timide sur le sujet, alors que son parti pourrait repousser la réforme constitutionnelle après les élections, ce qui maintient d’autant l’incertitude.