L’ancien président sénégalais Abdoulaye Wade à son arrivée à Dakar, le 7 février 2019. / SEYLLOU / AFP

Les mains crispées sur le toit de son 4 x 4, le corps droit, son habituelle chéchia rouge coiffant une moue sévère, Abdoulaye Wade traverse la ville de Rufisque à toute vitesse. A 92 ans, l’ancien président du Sénégal (2000-2012) n’a rien perdu de sa capacité à rassembler les foules. Arrivé en jet privé au nouvel aéroport de Dakar, jeudi 7 février en fin d’après-midi, c’est la première fois qu’il remet les pieds dans son pays depuis plus d’un an.

Des milliers de militants convaincus et des sympathisants curieux sont venus l’accueillir avec pancartes, sifflets et tam-tams. Son cortège, d’une centaine de véhicules, l’a escorté pendant cinq heures de bain de foule à travers les banlieues de la capitale jusqu’à la permanence du Parti démocratique sénégalais (PDS), sa formation politique et premier parti d’opposition.

A deux semaines du premier tour de l’élection présidentielle, « Gorgui », (« le vieux » en wolof), comme le surnomment les Sénégalais, n’a qu’un objectif en tête : empêcher la tenue du scrutin. « Vos cartes d’électeurs, c’est de la fraude ! Rendez-vous dans les bureaux de vote samedi [veille de l’élection] et brûlez-les. Brûlez aussi celles de vos familles ! », a-t-il lancé au millier de personnes venues l’écouter pendant plus d’une heure devant le siège de son parti. Il a accusé le gouvernement de détenir deux fichiers électoraux, permettant au président-candidat Macky Sall de s’offrir « 317 540 voix supplémentaires ». Il avait déjà tenu des propos forts dans une vidéo publiée mardi 5 février depuis la France : « Nous avons choisi de nous opposer à la tenue d’une élection entièrement fabriquée dans le seul but de faire réélire le président sortant Macky Sall. »

Vision dynastique

Résident à Versailles avec son épouse française Viviane Vers, Abdoulaye Wade est venu avec un esprit de revanche. Il n’a jamais digéré le fait que son premier ministre et protégé politique, l’actuel président Macky Sall, le batte lors de l’élection présidentielle de 2012, après avoir été destitué du parti par Abdoulaye Wade qui briguait un inconstitutionnel troisième mandat. Il lui reproche aussi d’avoir instrumentalisé la justice pour faire condamner en 2015 son fils Karim Wade à six ans d’emprisonnement et 210 000 millions d’euros d’amende pour enrichissement illicite.

Dans sa vision dynastique, Abdoulaye Wade voulait faire de son fils son successeur à la tête de l’Etat. Il lui avait déjà permis, durant son deuxième mandat, d’accéder à des portefeuilles ministériels conséquents qui avait valu au fils le sobriquet de « ministre du ciel et de la terre ». Ce qui ne l’a pas empêché dans son allocution vidéo du 5 février de dénoncer un Macky Sall mettant ses propres proches à des postes « mangeoires ».

Gracié par Macky Sall après trente-huit mois de prison, Karim Wade s’était alors exilé au Qatar d’où il a poursuivi ses activités de banquier avant de se présenter à l’élection présidentielle de 2019. Mais son nom ayant été rayé des listes électorales suite à sa condamnation, sa candidature a été invalidée par le Conseil constitutionnel le 20 janvier.

C’est afin de sauver « l’avenir du Sénégal », précise Abdoulaye Wade, mais surtout l’honneur de sa famille qu’il est revenu pour peser de tout son poids sur l’électorat. Nombre de ses affiliés sont encore nostalgiques d’une époque où « les capitaux circulaient sans difficulté et la classe moyenne pouvait s’enrichir », soutient un militant vêtu d’un tee-shirt à l’effigie du « père de la nation » comme ils aiment appeler Wade.

L’ancien président a ensuite déroulé son plan d’action pour les jours à venir, composé de visites « chez les gouverneurs et les préfets pour leur faire savoir que nous ne sommes pas d’accord avec ces élections ». Dès vendredi 8 février, il le mettait en action, en allant rendre visite au calife général des mourides dans la ville sainte de Touba, l’une des plus influentes confréries soufies du pays et dont les consignes de vote, mêmes implicites, sont strictement suivies par les fidèles.

« Faire partir Macky Sall »

Hormis ses plus fervents partisans, de nombreux membres de l’opposition sont venus manifester leur soutien au « pape du sopi » (« pape du changement » en wolof) pour le convaincre de renoncer à son boycott du scrutin et de soutenir l’un des quatre candidats de l’opposition en lice. A l’image d’Aissatou Fall, coordinatrice des femmes khalifistes (soutiens de l’ancien maire de Dakar, Khalifa Sall, dont la candidature a été invalidée) et vice-présidente des femmes du Front de l’opposition.

« Nous qui sommes des socialistes, nous avons combattu le libéralisme d’Abdoulaye Wade pendant douze ans, et nous le regrettons, dit-elle devant le siège du PDS. C’est pourquoi nous sommes venues massivement pour lui rendre hommage, mais aussi lui demander solennellement de revenir sur sa décision. Abdoulaye Wade n’a pas le droit de demander à ses partisans de boycotter l’élection. S’il ne choisit pas l’un des candidats de l’opposition, nous n’aurons pas le poids nécessaire pour faire partir Macky Sall. »

Nul doute que les quatre candidats de l’opposition vont multiplier les gestes en direction de l’ancien chef de l’Etat pour s’attirer les faveurs de son électorat puissant. Abdoulaye Wade l’a bien compris et a prévu, lundi 11 février, de rendre visite en prison à Khalifa Sall, candidat malheureux et leader influent de l’opposition. L’ancien maire de Dakar a choisi le candidat qu’il supportera au premier tour et a prévu de le révéler dans les prochaines heures. Si M. Wade s’accorde sur le même soutien, abandonnant son boycott, le boulevard électoral que s’est taillé Macky Sall pour la présidentielle risque de rétrécir.

Abdoulaye Wade veut empêcher la présidentielle au Sénégal
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