Un partisan du Modern Democratic Party colle une affiche du musicien Olubankole Wellington, candidat aux élections législatives nigérianes, à Lagos, le 27 janvier 2019. / FLORIAN PLAUCHEUR / AFP

Ils sont le Nigeria mais ne le font pas : alors que les moins de 25 ans représentent 60 % de la population, la nouvelle génération reste largement exclue du jeu politique de la première économie d’Afrique, dominé par une élite vieillissante. L’élection présidentielle, samedi 16 février, se jouera principalement entre deux septuagénaires rompus aux arcanes politiques. Le chef d’Etat sortant, Muhammadu Buhari, 76 ans, qui occupa déjà le fauteuil présidentiel à la faveur d’un coup d’Etat dans les années 1980 avant d’être élu en 2015, affrontera Atiku Abubakar, 72 ans, ancien vice-président entre 1999 et 2007.

« Ce sont toujours les mêmes mensonges, la même corruption, rien ne change pour nous », s’énerve un vendeur de rue, Femi Edu, à propos des politiciens qui se partagent le pouvoir depuis l’avènement de la démocratie il y a vingt ans. Il n’ira pas voter. « Tout ce qu’on veut c’est du boulot, mais même ça ils ne sont pas capables de nous le donner ! », dit à l’AFP ce chômeur de 19 ans qui, comme des millions de compatriotes, vivote grâce au secteur informel.

« La politique, c’est sale »

C’est la première fois que la génération née après les dictatures militaires post-indépendance (1966-1999) peut s’exprimer dans les urnes pour élire son président, ainsi que ses futurs députés et gouverneurs. Cette année, les 18-35 ans représentent le principal bloc au sein de l’électorat, avec 51 % des inscrits (43 millions), et sont très courtisés par les candidats, sur les réseaux sociaux comme à la télévision. Mais beaucoup, comme Femi Edu, ne croient plus aux promesses de redresser le géant aux pieds d’argile gangrené par la corruption et qui, malgré les immenses richesses tirées du pétrole, peine à fournir le minimum vital à ses 190 millions d’habitants.

« La politique, c’est sale : voilà ce que pensent les jeunes. Ils ont l’impression que leur vote ne compte pas », explique la chanteuse Celeste Ojatula, 24 ans, qui participe au programme Voice2rep lancé par la société civile pour inciter les jeunes Nigérians à voter. Avec une dizaine d’autres artistes, elle a participé à trois grands concerts de rap et d’afrobeats, gratuits à condition de présenter sa carte d’électeur. « La plupart cherchent juste à partir loin d’ici, faire des études au Canada et avoir une meilleure vie, renchérit une autre chanteuse, Chioma Ogbonna, 30 ans. C’est pour ça que les jeunes s’inscrivent sur les listes électorales. La carte d’électeur, ça sert surtout à obtenir un visa ou à ouvrir un compte en banque ! »

Selon l’éditorialiste politique Tabia Princewill, la jeunesse éduquée et urbaine partage largement cette désillusion. « Ceux qui votent, ce sont les plus pauvres, qui sont tout en bas de l’échelle sociale. Parce qu’ils ont le ventre vide, il suffit de leur donner un sac de riz et ils vous donnent leur voix, explique-t-elle. Il faudra encore une ou deux générations pour que les choses changent vraiment. »

« Nous n’avons plus d’excuse »

Après des années d’intense lobbying de la société civile, un pas important a été franchi en mai 2018 avec l’adoption d’une loi qui abaisse de 40 à 35 ans l’âge limite des candidats à la présidentielle et de 35 à 30 ans pour les gouverneurs. Il n’en fallait pas plus à Chike Ukaegbu, tout juste 35 ans, pour se lancer dans la course à la fonction suprême. « Je n’y avais jamais pensé avant », avoue ce patron originaire du sud-est du pays, qui vit entre le Nigeria et New York. « Nous n’avons plus d’excuse, nous ne pouvons plus dire qu’ils nous mettent à l’écart, explique à l’AFP le benjamin des 73 candidats déclarés. Nous sommes la majorité, c’est à nous de changer le récit de notre nation. »

Chike Ukaegbu, 35 ans, est le benjamin des candidats à l’élection présidentielle nigériane. / CERES HENRY / AFP

Très peu d’électeurs connaissent son visage, contrairement aux favoris, dont les posters géants sont affichés partout sur les murs des grandes villes. Créateur de start-up dans les nouvelles technologies, Chike Ukaegbu est persuadé que l’élection se gagnera avant tout sur les réseaux sociaux. En partie par manque de moyens, c’est donc sur Internet et à coups de messages WhatsApp qu’il s’adresse aux jeunes – bien que des millions d’entre eux vivent dans des campagnes reculées où même le téléphone ne passe pas.

Autre ambitieux, Prince Bukunyi Olateru-Olagbegi a créé l’an dernier le Modern Democratic Party à seulement 27 ans. Il revendique déjà 65 000 membres et deux candidats aux législatives. Son programme : « offrir de l’espoir » à travers des investissements massifs dans l’éducation, des créations d’emplois et le dépassement des clivages ethniques et religieux. Mais gagner une élection présidentielle au Nigeria est une mission quasi impossible sans parrainage politique et beaucoup d’argent, reconnaît-il. Rien que pour un poste à la Chambre des représentants, les candidats des deux principaux partis peuvent dépenser jusqu’à 150 millions de nairas (plus de 360 000 euros) pour leur campagne, assure Olateru-Olagbegi : « Mais il faut bien démarrer quelque part. »