Image postée sur le compte Twitter de Manoto TV. / Manoto TV/twitter.com

Lorsque l’Iranienne Mahsa, doctorante en gestion des ressources en eau, en Allemagne, est retournée dans son pays en 2011 pour ses vacances d’été, elle s’est étonnée du nombre de gens qui regardaient chez eux, avec intérêt et régularité, la chaîne satellitaire Manoto, diffusée depuis Londres.

Lancée en 2010 par le groupe Marjan Media, Manoto (« toi et moi » en persan) a fait son apparition dans un paysage médiatique déjà bien rempli par des chaînes telles que BBC Persian (établie à Londres) et Voice of America Farsi (diffusée depuis Washington). Bien qu’il soit interdit, par la loi iranienne, de posséder une parabole, son utilisation est de plus en plus répandue.

Emissions divertissantes

Un élément important différencie Manoto de ses rivales. La chaîne, au moins à ses débuts, diffusait peu de contenus à message politique, préférant des émissions divertissantes comme la très populaire « Googoosh Music Academy », une sorte de « Star Academy » présentée par la diva de l’ère prérévolutionnaire Faegheh Atashin, plus connue sous le nom de Googoosh. Et cela alors que les solos de chanteuse demeurent interdits en Iran.

Tandis que les médias iraniens se heurtent à de nombreuses lignes rouges, Manoto met les pieds dans le plat. En 2011, la chaîne diffusait par exemple un documentaire dépeignant la souffrance des Nord-Coréens en raison de l’entêtement de Pyongyang à poursuivre son programme nucléaire, provoquant l’isolement du pays et les sanctions internationales. A cette époque, sous la présidence de l’ultraconservateur Mahmoud Ahmadinejad (2005-2013), l’Iran était pourtant soumis à un sévère embargo économique de la part de la communauté internationale à cause de son programme atomique. « J’ai vu dans ce documentaire que les gens de Corée du Nord cherchaient de quoi manger par terre et dans les poubelles », commentait, la même année, un vendeur de légumes à Téhéran, qui redoutait qu’un sort similaire s’abatte sur les Iraniens.

« De Téhéran au Caire » évoquait la révolution iranienne, tout en mettant en avant l’épouse du roi, Farah Diba, qui vit entre Los Angeles et Paris

Un autre documentaire produit par la chaîne dressait un portrait élogieux du roi Reza Pahlavi (1878-1944), père de Mohammad Reza (1919-1980), sans évoquer son règne autoritaire. En 2012, les intentions de la chaîne sont devenues plus claires avec la diffusion de De Téhéran au Caire, qui évoquait la révolution iranienne, tout en mettant en avant l’épouse du roi, Farah Diba, qui vit entre Los Angeles et Paris.

Le 15 janvier, à Téhéran, des écoliers visitent le palais Niavaran, qui fut la résidence du chah Mohammad Reza Pahlavi et de sa famille. / Vahid Salemi / AP

Lors d’une de ses interventions filmées, elle décrivait les opposants au régime de son mari comme les victimes d’un « lavage de cerveau » opéré par des groupes politiques à l’étranger – sous-entendu des communistes –, sans jamais reconnaître les effets de la répression, de la censure ou des inégalités économiques dans l’Iran de l’époque.

A l’origine de slogans prodynastie

Dotée d’une collection impressionnante d’images d’archives, datant d’avant la révolution de 1979, Manoto multiplie les émissions à la gloire de la dynastie Pahlavi, vantant sa croissance économique considérable, les villes modernes, les cabarets, les femmes en minijupe et le passeport iranien capable d’ouvrir les portes de l’étranger.

Octobre 1967. Le chah Mohammad Reza Pahlavi, sur son trône à Téhéran. / AP

Nombre d’analystes estiment que Manoto est à l’origine des slogans prodynastie prononcés lors de la dernière vague de manifestations, début 2018. « Son objectif est de dépeindre, de manière partiale, une image sombre de l’Iran actuel et de renforcer le mécontentement populaire », assure Mahsa, la doctorante qui, par ailleurs, n’a guère d’affinités avec les conservateurs iraniens.

La chaîne maintient le secret sur les origines de ses financements – les Iraniens soupçonnent les Etats-Unis, l’Arabie saoudite et Israël, rivaux de Téhéran. En octobre 2018, le Guardian a révélé qu’une autre chaîne d’opposition basée à Londres, Iran International, était financée, grâce à une entité offshore, par un homme d’affaires saoudien proche de la famille royale à Riyad. Manoto n’a pas donné suite aux questions du Monde.

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