Le Ballet de l’Opéra national de Paris a toujours ouvert les bras aux artistes de tous les pays et aux influences étrangères. Particulièrement présents dans l’histoire de la maison, les danseurs et chorégraphes russes l’ont durablement marquée. Après Serge Lifar (1904-1986), Rudolf Noureev (1938-1993), directeur de la danse de 1983 à 1989, est toujours en vedette vingt-six ans après sa mort. Onze de ses ballets sont au répertoire de la troupe. Sept monuments ont été retaillés à neuf par Noureev : parmi eux, seul Cendrillon, chorégraphié en 1986 comme un dessin animé hollywoodien, ne se situe pas dans l’héritage de Marius Petipa (1818-1910), patron du Théâtre impérial de Saint-Pétersbourg, aujourd’hui Mariinsky, où Noureev fut soliste entre 1958 et 1961.

Dès 1981, Noureev remonte Don Quichotte, sur la musique de Ludwig Minkus, puis deux ans plus tard Raymonda, étonnant spectacle créé en 1898, sur une partition d’Alexandre Glazounov, qui évoque l’attirance entre une jeune femme, Raymonda, et un Sarrasin, Abdéram, au XIIIe siècle. Cette épatante production sera de nouveau au programme du Ballet de l’Opéra national de Paris en décembre 2019. Dans la foulée, Noureev s’attaque ensuite au Lac des cygnes (1984), à Casse-Noisette (1985), à La Belle au bois dormant (1989) et enfin à La Bayadère (1992), ultime consécration de sa carrière quelques mois avant sa mort.

Quels sont les apports de Noureev ? « Rudolf a inculqué une exigence musicale, précise Elisabeth Platel, nommée étoile en 1981 et appartenant à la “génération Noureev”. Il nous a apporté une profondeur dans le mouvement grâce à un travail dans le sol enraciné. » Il a aussi affûté un point de vue psychologique sur certains ballets – le thème du double exacerbe les livrets du Lac des cygnes et de Casse-Noisette. Il a distingué des personnages, creusant des thématiques relationnelles et amoureuses. Il a aussi étoffé les partitions des hommes tant théâtralement que techniquement. Pour Abdéram, par exemple, simplement mimé à l’origine, il a conçu des solos félins.

Plus généralement, Noureev a donné un tour d’écrou à la virtuosité de tous les rôles, au point de faire de chacun de ses spectacles de véritables tests. « Il a considérablement élevé le niveau du corps de ballet lorsqu’il était directeur, souligne Ariane Dollfus, auteure du livre Noureev. L’insoumis (Flammarion, 2007). Il répétait souvent que le corps de ballet est le corps du Ballet et qu’il contribue à faire briller les étoiles. Il aimait donner à manger aux danseurs, comme il disait. Il a allongé les variations, ajouté des pas, complexifié les enchaînements, les tricotant à droite, à gauche, avec des changements de direction. Un flot continu, alambiqué et souvent illogique, épuisant évidemment pour l’interprète. C’était un vorace et il chorégraphiait ce qu’il voulait ou aurait voulu danser. » Entraînant avec lui, depuis le début des années 1980, une chaîne d’interprètes happés dans la même spirale d’audace.

Cet article a été réalisé dans le cadre d’un partenariat avec l’Opéra de Paris.