LES CHOIX DE LA MATINALE

Les résidences étudiantes poussent à Paris comme des champignons. Ces projets, qui relèvent encore souvent de la commande publique, offrent aux architectes des terrains d’expérimentation ludiques et passionnants. Dans le beau parc, en cours de réaménagement, de la Cité internationale universitaire de Paris, trois résidences sont sorties de terre ces deux dernières années. Et deux autres, plus anciennes, sont également à découvrir dans le même quartier.

La maison de l’Ile-de-France, la plus écolo

Première inaugurée, la maison de l’Ile-de-France a été conçue pour produire plus d’énergie qu’elle n’en consomme. Nichées entre ses 142 chambres et ses espaces de vie partagée, deux gigantesques cuves, hautes de huit étages, stockent l’eau chaude produite durant l’été pour subvenir, l’hiver, aux besoins en chauffage et en eau chaude. « Si la technologie permet de consommer moins d’énergie, son efficacité dépend des habitants », explique Cyril Trétout, architecte associé au sein de l’agence A/NM/A de Nicolas Michelin, qui a travaillé main dans la main avec le bureau d’études Deerns. Les étudiants accepteront-ils de minuter leur temps de douche à six minutes, comme l’exige un fonctionnement énergétiquement vertueux ?

Les budgets alloués à la construction de HLM ne permettant pas de financer de tels dispositifs, la configuration de la Cité universitaire, avec la région Ile-de-France comme sponsor, et une population étudiante très engagée sur les questions d’environnement, est à peu près la seule à même de produire une architecture à énergie positive. L’enveloppe dorée à tendance triangulaire, trouée de petites fenêtres carrées, recouverte sur le toit et sur sa façade sud (celle du périphérique, qui abrite les cuves) de capteurs solaires, n’est certes pas la plus élégante du parc. Mais ses qualités expérimentales légitiment largement sa présence.

La maison de la Corée, la plus zen

La maison de la Corée, à Paris, conçue par les agences coréenne GA.A et française Canale 3. / GA.A / CANALE 3

La façade blanche grillagée, posée sur pilotis et ondulant comme une vague, de la maison de la Corée, est plus agréable à l’œil. Née de l’association entre les coréens GA.A et les français Canale 3, elle repose sur des principes rigoureux, commandés par des impératifs d’insonorisation et de réduction des nuisances. A l’intérieur, une attention particulière à la qualité des matériaux, y compris du mobilier (bois massif, recouvert parfois d’un beau cuir de couleur…) apporte une qualité de confort et de luxe relatif aux petites chambres autant qu’aux espaces collectifs où infuse un esprit zen : cuisines en duplex ouvrant grand sur le ballet des voitures du périphérique, terrasse à mi-hauteur aménagée d’un « pavillon lettré » et, au rez-de-chaussée, un patio arboré bordé de salles de travail et d’activités artistiques, un grand salon, une salle de conférences, un restaurant coréen et une épicerie…

La résidence Julie-Victoire-Daubié, la plus audacieuse

La résidence Julie-Victoire-Daubié (nom de la première bachelière de France, entre autres, journaliste et militante des droits des femmes), à Paris, réalisée par Stéphanie Bru et Alexandre Theriot de la dynamique agence Bruther. / AGENCE BRUTHER

Dernière livraison en date, la résidence Julie-Victoire-Daubié, réalisée par Stéphanie Bru et Alexandre Theriot de la dynamique agence Bruther, a reçu, en novembre 2018, l’Equerre d’argent de la catégorie « habitat ». Alliage d’une structure en béton brutaliste, d’une enveloppe de verre et de métal légère comme l’écume, et d’un jeu de formes et de couleurs délicates qui égaient l’ensemble de touches acidulées, le bâtiment cubique sur pilotis qui dialogue avec les constructions voisines du Corbusier et de Claude Parent, témoigne d’une intelligence de construction et d’un art de l’espace. En prenant le parti de la recherche formelle contre un moelleux lénifiant, les architectes invitent les résidents à appréhender leur séjour comme une expérience d’habitation hyperurbaine.

La résidence Simone Veil, la plus intégrée à l’environnement

La résidence Simone Veil, à Paris, conçue par l’architecte Vincent Parreira. / AAVP ARCHITECTURE

De l’autre côté du périphérique, sur une parcelle jadis incluse dans le périmètre de la Cité universitaire internationale et transférée, en 2012, à la faveur d’un accord d’échange foncier, à la Ville de Paris, la résidence Simone Veil témoigne d’une grande attention portée par son architecte, Vincent Parreira, à l’environnement, au voisinage, et aux futurs résidents. Ce bâtiment en forme de U bardé de bois aux étages inférieurs, dévoilant son béton blanc en son milieu, rejouant musicalement le bois via les volets des niveaux supérieurs, dialogue aimablement avec son contexte : un carrefour hétérogène sans grande qualité.

Le patio, au rez-de-chaussée, le joli jardin japonais qu’il abrite, les pilotis en forme d’ombrelles qui rappellent celles du siège de la Johnson Wax de Frank Lloyd Wright, les terrasses aux étages qui offrent toutes sortes de vues sur le paysage alentour, le recours, pour la décoration, à des « azulejos », ces carreaux de faïence portugais, à des néons industriels diffusant une lumière très douce, sont autant de signes de la démarche de l’architecte, qui oppose son désir d’embellir la vie aux normes de plus en plus rigides et standardisantes qui s’imposent à ce type de logements.

La résidence Chris Marker, la plus rétrofuturiste

La résidence Chris Marker, à Paris, conçue par l’architecte Eric Lapierre dans un immeuble de la RATP. / FILIP DUJARDIN / BATISERF.COM

Conçue par Eric Lapierre dans un immeuble de la RATP, rue de la Tombe-Issoire dans le 14arrondissement, la résidence Chris Marker gravite elle aussi dans le périmètre de la Cité universitaire internationale. Trois cent soixante-cinq logements, et des espaces collectifs, intérieurs et extérieurs, occupent désormais les étages surplombant un parking et un centre de réparation de bus. Fascinant alliage d’architecture brutaliste monumentale et de raffinement de couleurs, de luminaires, de mobilier qui évoque l’intérieur d’un hôtel boutique branché s’élève en hauteur en une cascade de béton, via un grand escalier qui le borde à l’extérieur.

Les chambres de part et d’autre des couloirs, et au centre, des espaces collectifs en double niveau, installés dans des boîtes transparentes, reliés les unes aux autres par un monte-charge qui rappelle la vocation initiale du lieu. La référence à Chris Marker, et à son film La Jetée, dont le texte est intégralement retranscrit sur les marches n’est pas fortuite. Entre les vues extraordinaires que l’escalier propose sur l’intérieur hétérogène, râpeux, grisâtre, d’îlots parisiens préservés des regards, et l’atmosphère rétrofuturiste qui se diffuse à tous les endroits, on s’y croirait.