La présidente du Rassemblement national, Marine Le Pen, le 9 février à Ebremond-de-Bonfossé, dans la Manche. / CHARLY TRIBALLEAU / AFP

Un trompettiste sonne le tocsin devant la salle des fêtes d’un petit village normand. Des sifflets, un tambour et une enceinte crachouillante se joignent à ce très politique tintamarre. En face, de jeunes militants d’extrême droite photographient le comité venu bruyamment les recevoir, hilares. « On va leur proposer d’accueillir des migrants chez eux, aux gauchistes ! »

Dans une heure à peine, en ce samedi 9 février, la très tranquille bourgade de Saint-Ebremond-de-Bonfossé (Manche) et ses 700 habitants accueillent un événement de campagne nationale. Européenne même. Marine Le Pen vient y tenir son deuxième meeting, accompagnée par sa tête de liste, Jordan Bardella, et Hervé Juvin, l’essayiste adepte de l’écologie civilisationnelle lui aussi candidat sur la liste de l’ex-FN, aux européennes.

Chasuble jaune sur le dos, Arnaud s’est joint aux anti-Le Pen. Presque gêné au milieu des drapeaux de la CGT, du PCF ou de la ligue des droits de l’homme, il tient à préciser qu’il n’est « rien de tout ça » : « Moi, je suis juste avec mon gilet. » Si l’ouvrier intérimaire n’est « pas du tout pour Marine Le Pen », il aurait tout autant adhéré à une manifestation « contre Macron ». Sa solution au « tous pourris », il l’a inscrite au marqueur noir sur son gilet fluo : « RIC ». Un acronyme du « référendum d’initiative populaire » tant plebiscité par le mouvement. Un synonyme, surtout, de « pouvoir au peuple » pour Arnaud.

Cet appel au « pouvoir au peuple » trône également sur les affiches bleu-blanc-rouge tapissant la salle des fêtes. La présidente du Rassemblement national (RN), qui s’est construite politiquement sur l’image de porte-voix de cette « France des oubliés », a opté pour une tournée de petites salles dans des petites villes. « J’ai plaidé leur cause quand personne n’y prêtait attention (…). Je suis là parce que j’ai toujours été là », se prévaut-elle en marge du déplacement.

« Un acte de résistance à Emmanuel Macron »

A la tribune normande, son jeune lieutenant de 23 ans ne manque pas d’appuyer sur « cette France que seule Marine défend ». Car c’est bien loin d’être un hasard pour le RN d’avoir installé une scène à Saint-Ebremond-de-Bonfossé, tant ces villages désertés sont un outil de campagne récurrent et désormais un angle d’attaque contre le président de la République. « Tenir une réunion publique ici, c’est presque déjà un acte de résistance à Emmanuel Macron. C’est lui montrer que la France des oubliés ne se taira pas », lance Jordan Bardella auprès de quelque 400 personnes réunies. Appelant ici à « soutenir et applaudir » les « gilets jaunes » ; insistant là sur l’abîme séparant le peuple et ses élites, thématique devenue incontournable depuis le début de la crise : « La France des oubliés n’intéresse pas les grands de ce monde. Vous ne les intéressez pas ! »

Mais le jeune favori du RN n’oublie surtout pas de décliner le pendant de son discours sur la territorialité : opposer cette « France des oubliés » à celle des immigrés, occasion d’une nouvelle charge contre le chef de l’Etat. « Quand [Emmanuel Macron] finance l’immigration de masse, il doit assumer d’avoir fait des économies sur la santé et la sécurité des Français. Il est responsable d’avoir choisi le migrant plutôt que le Français. » Sur l’Europe ? Immigration encore. « L’Union européenne, c’est en fin de compte un étranger qui entre en France toutes les deux minutes. »

Le référendum évoqué par Emmanual Macron ? Immigration, toujours. « Qu’il interroge les Français sur ce qui les préoccupe : faut-il oui ou non continuer à dépenser des millions chaque année dans la prise en charge de l’immigration massive ? »

Dans la salle, Romain acquiesce. Le jeune convaincu de 26 ans est venu du Calvados pour vérifier s’il reprendrait ou non sa carte au RN. L’an dernier, il n’avait pas réadhéré pour la première fois depuis sa majorité. Le changement de nom du parti d’extrême droite l’a un peu inquiété, alors Romain « attendai[t] de voir » si la ligne changeait. Le voilà rassuré. « Pour l’instant c’est pareil qu’avant, donc ça va. »

« Submersion migratoire organisée »

Après le discours très identitaire d’Hervé Juvin – « le nomadisme obligé (…) qui veut nous expulser de nos terres. Je ne veux pas mourir dans une réserve » – appelant à la mobilisation en mai, Marine Le Pen entre en scène. Sous les applaudissements de Romain, la patronne poursuit la charge nationaliste et identitaire. « La question que je vous pose au seuil de cette campagne est : voulez-vous rester Français ? », entonne-t-elle, conspuant « notre disparition en tant que peuple dans une submersion migratoire organisée » et « notre disparition culturelle par un grignotage continu de nos valeurs de civilisation ». Dans la « saine colère » des « gilets jaunes », elle voit « une révolte populaire » contre ce qu’elle annonce depuis des années : « mondialisation », « tiers-mondisation », « immigration ». « Les Français devraient nous écouter plus souvent, y compris ceux qui jouent du sifflet à l’extérieur », s’amuse-t-elle.

A l’extérieur justement, Géraldine écoute. « Gilet jaune de Vire », elle aussi s’est glissé parmi les anti. Pas pour « rejeter » les électeurs du RN, prévient-elle d’emblée. D’ailleurs, dans « son » mouvement, elle côtoie d’autres « gilets jaunes » qui ont voté Marine Le Pen. « Mais ils n’ont même pas lu le programme ! Comme ceux qui ont voté Macron d’ailleurs… », soupire celle qui affirme toujours croire en la politique « pour installer le troisième pouvoir : celui de la société civile ». Que répond-t-elle à Marine Le Pen, qui affirme que les revendications des gilets jaunes sont les siennes depuis des années ? « D’une certaine façon, elle n’a pas tort, rétorque Géraldine aussi sec. Mais il me semble qu’elle n’est pas pour l’augmentation du SMIC, si ? » Non, en effet.

Dans la salle, un jeune homme s’approche discrètement des tables réservées aux journalistes. « Je suis celui que vous avez pris en photo », s’excuse-t-il auprès d’un photographe. Il aimerait que son visage n’apparaisse pas sur ce cliché, celui où il apparaît en train de coller des affiches avec le visage de Marine Le Pen. « Je fais aussi les gilets jaunes”, explique-t-il, la mine penaude. J’ai pas envie que tout le monde sache que je suis d’ici, y’a des gens qui vont mal le prendre. »