Sept condamnations à la prison à perpétuité ont été prononcées tôt samedi 9 février par le tribunal de première instance de Tunis dans deux affaires distinctes qui avaient défrayé en Tunisie la sanglante chronique du djihadisme de l’année 2015 : l’attaque contre le musée du Bardo (18 mars) et l’assaut contre un hôtel de la station balnéaire d’El Kantaoui près de Sousse (26 juin), qui avaient fait un total de 60 morts, dont 59 touristes étrangers et un policier. Cette série inédite d’opérations terroristes, revendiquée par l’organisation Etat islamique (EI), avaient traumatisé l’opinion en Tunisie et porté un coup sévère à l’économie nationale – surtout le tourisme – dont le pays se remet laborieusement.

Aucune condamnation à mort

Dans l’affaire du Bardo, trois accusés ont été condamnés à la perpétuité, douze à des peines s’échelonnant de un à seize ans et dix ont bénéficié de non-lieu. Dans le dossier de Sousse, quatre prévenus ont été condamnés à la prison à vie, cinq une peine maximale de six ans, et dix-sept ont bénéficié de non-lieu. Le parquet a fait appel. Aucune condamnation à mort n’a été prononcée, contrairement à ce que craignaient les avocats de la défense comme ceux des parties civiles. Les trois exécutants des deux attaques – Jaber Khachnaoui et Yassine Laabidi au Musée du Bardo et Seifeddine Rezgui à Sousse – avaient été abattus par les forces de sécurité après avoir commis leur carnage respectif. Bien que survenues à trois mois d’écart, les deux attaques sont liées, certains protagonistes s’étant rencontrés lors d’une formation militaire dans des camps djihadistes en Libye en 2014. Une figure commune émerge dans les préparatifs des deux attaques, celle de Chameseddine Sandi, qui aurait été tué en février 2016 lors d’un raid aérien américain sur un repaire djihadiste à Sabratha, à l’ouest de Tripoli.

Les deux affaires, autant dans leur instruction qu’au fil des audiences des procès, avaient mis durement à l’épreuve la coopération judiciaire entre la Tunisie et nombre de pays d’où les victimes étaient originaires, notamment la France (qui compte quatre de ses ressortissants parmi les tués du Bardo et six parmi les blessés ) et la Grande-Bretagne (dont trente nationaux ont été tués à Sousse).

Dans l’affaire du Bardo, après bien des vicissitudes, les audiences ont pu être retransmises en visio-conférence afin de permettre aux parties civiles de les suivre à distance. « Il y a eu des éléments positifs, commente Gérard Chemla, un des avocats des victimes françaises. Mais il en eu aussi d’insuffisants, voire de très insuffisants ». Au fil de la procédure et du calendrier des audiences, les avocats des parties civiles se sont plaints d’être insuffisamment informés. Ils n’ont eu ainsi accès qu’à une partie des documents, seuls 20 % ayant été traduits en français. « Nous nous sommes considérés comme des spectateurs peu informés de la procédure », ajoute M. Chemla qui reproche aux autorités tunisiennes et françaises de ne pas avoir assez soutenu les parties civiles, notamment matériellement.

L’enquête ternie par une affaire de torture

Dès le départ, la sérénité de l’enquête sur l’affaire du Bardo avait été altérée par des cafouillages, des querelles intestines au sein de l’appareil sécuritaire tunisien et, plus grave, des allégations de torture contre des suspects. A la brigade antiterroriste d’Al-Gorjani (un quartier de Tunis) initialement saisie de l’enquête, une violente rivalité avait très rapidement opposé le chef à son adjoint. Le contentieux s’était cristallisé autour d’un cas de torture. Le juge d’instruction chargé de l’enquête de l’attaque du Bardo, Béchir Akremi, magistrat du pôle antiterroriste, avait alors constaté la réalité de la torture dont a été victime le suspect, Houcine D., et dessaisi la brigade antiterroriste d’Al-Gorjani pour confier l’enquête à la garde nationale de l’Aouina. Il avait aussi décidé de la libération en août 2015 de six suspects, prétendant tous avoir subi de mauvais traitements.

Des pans entiers de l’enquête avaient alors dû être repris. Autre développement « étonnant» aux yeux de M. Chemla, le juge Akremi a ensuite été nommé procureur de la République. « Comment le parquet peut-il être objectif sur l’examen d’un dossier instruit par le chef même du parquet actuel ? », s’interroge M. Chemla.