De retour de blessure, Tiffany Gauthier a terminé 23e du super-G des championnats du monde. / LEONHARD FOEGER / REUTERS

C’était en octobre 2018, à l’orée de la saison de Coupe du monde. On était venu prendre des nouvelles du genou de Tiffany Gauthier, l’une des bonnes surprises de la saison précédente dans l’équipe de France féminine de ski. Et la conversation avait dérivé sur sa carrière jalonnée par les blessures, nombreuses à seulement 25 ans.

La série s’est prolongée cette année, puisqu’une chute au début de janvier à l’entraînement lui a valu une déchirure musculaire au niveau du tibia. Elle n’est revenue à la compétition que pour les championnats du monde, à Are, en Suède. Avec cinq jours d’entraînement dans les jambes, elle s’est classée 23e du super-G et dispute la descente dimanche, où Lindsey Vonn fera sa dernière apparition.

Après la meilleure saison de votre carrière – deux fois quatrième en Coupe du monde –, vous vous êtes fait opérer du genou en avril 2018. Pourquoi ?

J’avais besoin d’un nettoyage du genou. Avant le début de la saison, je m’étais « mis une boîte » [grosse chute] au Chili, j’avais une énorme contusion osseuse. Et pendant l’hiver, mon genou a commencé à se bloquer. On s’est rendu compte que j’avais plein de bouts de cartilage qui se baladaient dans le genou. Je ne pouvais pas garder cette douleur à vie, donc j’ai subi une arthroscopie consistant à enlever ces bouts de cartilage.

En quoi cette douleur vous gênait-elle ?

Mentalement, je ne tenais plus. Je sentais la douleur la nuit. Dès que je me tournais dans mon lit.

Et malgré ça, vous faisiez des descentes de Coupe du monde ?

C’est mon job, j’étais obligée. J’avais le couteau entre les dents, la saison était importante et je ne voulais pas m’arrêter comme ça. Mon genou a bloqué à deux semaines des Jeux olympiques, se faire opérer alors n’était pas envisageable.

Sur les skis, je suis concentrée sur autre chose et c’est en bas de la manche que je sens si j’ai vraiment forcé ou pas. En bas, je serre les dents.

Après l’opération, vous n’avez plus eu aucune douleur ?

Ce genou va très bien ; maintenant [en octobre 2018], c’est l’autre. Quand on a fait l’examen de contrôle du genou opéré, je n’arrivais plus à marcher à cause de l’autre. J’ai passé une IRM en urgence et j’avais une contusion osseuse survenue pendant la saison. J’avais tellement mal à l’autre genou que je ne l’avais pas senti. J’ai dû être infiltrée [d’antidouleurs] avant l’hémisphère sud parce que je n’en pouvais plus.

C’était votre sixième opération ?

Je crois.

Vous n’êtes pas sûre ?

Je ne sais même plus. Alors… Quatre au genou gauche et deux au genou droit. Oui, ça fait six ! Deux ligaments croisés, gauche et droite. Le ligament latéral interne à droite. Les deux autres opérations au genou gauche, ce sont des nettoyages, où l’on enlève un bout de ménisque fissuré.

« Cela fait huit ans que j’ai mal pratiquement tous les jours. Je ne pense pas avoir une vieillesse très sympa »

Comment décririez-vous l’état de votre corps ?

Je pense qu’il n’est pas au top de sa forme. Cela fait partie de moi. Cela fait huit ans que j’ai mal pratiquement tous les jours. Pour moi, c’est normal. Il faut prendre ça en compte. Je ne pense pas avoir une vieillesse très sympa.

Evidemment, toutes les contraintes que je me mets dans la tronche n’aident pas et je me dis que si j’arrête le ski, ça ira mieux. Et en même temps, je n’aurai plus la même condition physique autour de mon genou, celle qui m’aide à supporter tout ça, qui fait qu’il n’est pas instable. Alors, je ne sais pas.

Y a-t-il des conditions dans lesquelles vous souffrez plus ?

L’humidité joue beaucoup. Un jour, j’ai un mal de genou qui monte, et le lendemain il pleut ou il neige. Médecin, météorologue, je peux tout faire !

Ces douleurs influencent-elles votre façon de skier ?

Je fais certaines séances à 50 % d’intensité parce que je ne peux pas aller au-dessus. Ou alors je fais du ski libre, sans tracé, car je ne peux pas mentalement et physiquement. Le ski libre, ça ne sert à rien, c’est pour prendre l’air, pour ne pas rentrer à l’hôtel et se mettre au fond du lit, au bout du rouleau.

En course, cela influence-t-il vos trajectoires ?

Oui. Lorsqu’il y a de gros changements de direction et que c’est sur mon genou qui a mal, je suis moins équilibrée, moins vers l’avant, moins engagée. A moi de passer au-dessus de ça, et cela dépend de mon état psychologique du moment.

« Je donnerais tout pour vivre une journée sans mal de genou »

Dans la vie de tous les jours, quelles sont les conséquences ?

C’est mon quotidien de souffrir en marchant. Quand c’est dur dans la tête, je donnerais tout pour vivre une journée sans mal de genou.

Lindsey Vonn, qui est revenue de nombreuses blessures en restant l’une des meilleures skieuses du monde, est-elle une inspiration sur le circuit ?

C’est un exemple, même si elle n’a pas eu les mêmes soucis que moi. Je n’aurais pas pu réussir ce qu’elle a fait. Un entraîneur m’avait dit un jour, sur une course : « Il faut que tu percutes que toutes les filles au départ ont eu des merdes comme toi ! » Et c’est vrai. On est tous passés par des mauvais moments. Personne n’a un corps sain parmi nous.

Compte tenu de vos problèmes de santé, pourrez-vous skier après votre carrière ?

J’espère continuer car j’ai l’objectif de passer le monitorat de ski. Mais mes genoux ne tiendront pas toute ma vie, c’est clair. A chaque fin de saison, je pose la question : est-ce que tes genoux en sont capables ? Es-tu capable mentalement de continuer ? Pour l’instant, c’est oui.