La Maison d’arrêt et de correction d’Abidjan (MACA), en Côte d’Ivoire, en septembre 2018. / SIA KAMBOU / AFP

Arrestations et emprisonnements arbitraires, harcèlement de l’opposition, de la société civile et des médias critiques : Amnesty International dresse un bilan sévère des atteintes à la liberté d’expression en Côte d’Ivoire, dans un rapport publié lundi 11 février, à l’approche de l’élection présidentielle de 2020.

« Sept ans après la crise postélectorale, qui a coûté la vie à 3 000 personnes, la Côte d’Ivoire projette une image de relative stabilité favorisée par une [forte] croissance économique […] et par un retour sur la scène internationale », écrit l’ONG dans ce document intitulé « La situation en matière de droits humains demeure fragile ».

« L’usage de lois répressives pour écraser le droit à la liberté d’expression se traduit par la détention arbitraire de très nombreux citoyens », déclare François Patuel, chercheur sur l’Afrique de l’Ouest à Amnesty International.

« Force excessive »

« Au moins 17 détentions arbitraires de journalistes et blogueurs ont été recensées ces cinq dernières années et le Conseil national de la presse a sanctionné des organes de presse à maintes reprises, leur imposant interruptions de publication et lourdes amendes », ciblant « les publications critiques envers les autorités et proches des mouvements d’opposition », a estimé l’organisation à l’occasion de la sortie de son rapport.

« Les opposants politiques sont aussi la cible d’un harcèlement judiciaire, parce qu’ils expriment leurs opinions », a ajouté l’ONG. Ainsi, fin janvier, le député Alain Lobognon, « inculpé de divulgation de fausses nouvelles et d’incitation à la révolte, a été condamné à un an de prison ».

De plus, « les réunions pacifiques [à l’initiative d’]organisations de la société civile et [de] groupes d’opposition sont régulièrement interdites et dispersées par la police et la gendarmerie, qui font usage d’une force excessive », note Amnesty dans son rapport, citant le cas d’une manifestation de mars 2018 dont 40 participants, parmi lesquels un responsable d’un parti d’opposition, ont été arrêtés. « Les défenseurs des droits humains sont souvent menacés et leurs bureaux régulièrement cambriolés. Dans les quatre dernières années, les bureaux de six des principales organisations [actives dans ce domaine] ont été mis à sac », s’inquiète l’ONG.

Elle recense des cas de torture « notamment à la Direction de la surveillance du territoire (DST), dans les postes de police et de gendarmerie ». Et s’alarme des « conditions carcérales inhumaines » dans le pays, soulignant qu’« au moins 152 décès en détention ont été recensés depuis août 2014 », selon ses investigations.

« Mettre fin aux arrestations arbitraires »

Amnesty International dénonce également l’« impunité » dont jouissent les auteurs de violations des droits humains : « Bien que le président Alassane Ouattara se soit engagé à faire en sorte que la justice soit rendue équitablement pendant son mandat, seules des personnes soupçonnées de soutenir Laurent Gbagbo ont été jugées pour de graves atteintes aux droits humains commises pendant et après l’élection [présidentielle] de 2010. »

Tandis que « les membres des Forces républicaines de Côte d’Ivoire (FRCI), […] fidèles au président Ouattara, n’ont pas été traduits en justice, bien qu’ils soient soupçonnés d’avoir commis de graves atteintes aux droits humains, avec plus de 800 personnes tuées à Duékoué [ouest] en avril 2011 ». « Plusieurs responsables [des] FRCI accusés de crimes contre l’humanité occupent actuellement des postes importants au sein des forces de sécurité et certains d’entre eux sont montés en grade en janvier 2017 », relève même l’ONG dans son rapport.

A l’occasion de la publication de ce document, Amnesty International a appelé les autorités ivoiriennes à « mettre fin aux arrestations arbitraires et aux actes de harcèlement » visant les voix dissidentes, et demandé la libération immédiate des prisonniers d’opinion.