Mathieu Bastareaud, dimanche 10 février à Twickenham. / ADRIAN DENNIS / AFP

Ils sont fatigants, ces « vieux », à radoter sur leur époque où il arrivait parfois que l’équipe de France remporte deux matchs de suite et parfois même le Tournoi des cinq ou six nations. Ils sont pénibles à pointer les faiblesses d’une génération qui n’a presque que le goût de la défaite en bouche. Mais ils ont peut-être raison aussi. « On a une génération qui n’a baigné que dans la défaite, on ne gagnera rien avec elle », a pointé Olivier Magne dans le bidhebdomadaire Midi olympique. C’était en amont de cet Angleterre-France et après la défaite inaugurale face aux Gallois (19-24), le 1er février.

Le vice-champion du monde 1999 parle comme un père déçu de voir un fils se perdre en échecs, excuses et promesses de jours meilleurs. « Si je finis comme eux, je demanderai à mes potes de m’en filer une. Il y a des choses que je peux entendre, mais il y en a d’autres… », a répondu dans la semaine le troisième-ligne Louis Picamoles à Magne et aux autres anciens combattants accusés de trop charger ses camarades et lui dans les médias.

Ce dimanche 10 février à Twickenham, Picamoles en a « pris une ». L’Angleterre a eu la main lourde. La défaite (44-8) a fouetté le visage des Bleus lors de ce deuxième match du Tournoi 2019. Trente-six points, six essais à un et un monde d’écart entre une équipe qui récite son rugby et l’autre qui l’improvise mais sans le génie de ces « imprévisibles » Français dont seuls les Anglais osent encore parfois évoquer le souvenir autant par habitude que pour se prémunir d’un éventuel ressac. A un point près, Jacques Brunel tenait son premier record comme sélectionneur, celui de la plus lourde défaite dans le Tournoi contre le XV de la Rose. En 1911 sous la présidence d’Armand Fallières, la France avait dérouillé 37-0 ; mais l’essai était à trois points contre cinq aujourd’hui. Tant pis pour l’Histoire.

« On va prendre la grêle »

Dans les couloirs de Twickenham face aux journalistes, la silhouette de Picamoles n’a pas été aperçue. A peine moins que sur la pelouse. A 33 ans, le Montpelliérain est assez vieux pour avoir connu le dernier Grand Chelem de l’équipe de France en 2010 et laissé filer pour un point, et quelques coups de sifflets malheureux de Craig Joubert, un titre mondial face aux Néo-Zélandais un an plus tard.

Membre emblématique de cette génération maudite, Mathieu Bastareaud est venu poser ses mots sur les maux bleus. Que dire pour ne pas se répéter ? Quand Jacque Brunel noie le poisson dans un discours de pur technicien pour ne surtout pas fâcher ses troupes et ose évoquer « des choses intéressantes en seconde mi-temps », le vice-capitaine met les pieds dans le plat de pudding. « On voit l’écart qui nous sépare des Anglais. Aujourd’hui, il n’y a pas eu photo », tranche le trois-quarts centre. Cravate nouée à la va-vite sur son costume de gala, le Toulonnais donne le ton des jours à venir : « On va prendre la grêle toute la semaine. Il faut assumer. »

Parce que son visage de Droopy ne trompe jamais et que sa nature porte toujours à la franchise, Mathieu Bastareaud porte sur lui le spleen et l’impuissance des cadres. Ceux dont Olivier Magne dit qu’il faudrait peut-être soulager la douleur et installer la jeunesse au pouvoir dès la Coupe du monde au Japon en septembre pour lui tanner le cuir en perspective de l’édition 2023 organisée en France. En bon capitaine courage, Guilhem Guirado n’a l’intention de rendre son tablier.

Pourtant, sa première mi-temps a tenu du cauchemar, à l’image de cette improbable croisée avec Camille Lopez dès la première minute. Un ballon reçu en pleine poire et un contre assassin plus tard, l’ailier Jonny May inscrit le premier des trois essais de son après-midi. « De la honte, non, assure le talonneur quand on lui suggère ce sentiment pour résumer la prestation de son équipe. On n’est tout simplement pas invité. »

« Peur d’en prendre soixante »

Si vous ne parlez pas « rugby », l’expression dit autrement que ces Bleus-là ne peuvent pas rivaliser. Guirado a beau se reprendre, ajouter « pas invité pour l’instant, j’espère qu’on le sera pour la Coupe du monde », le mal est profond pour qu’un autre cadre – le deuxième-ligne Sébastien Vahaamahina – se dise soulagé « de ne pas en avoir pris soixante ». Parce qu’il ferraille surtout dans les taches obscures, le Clermontois préfère de pas épiloguer la faillite stratégique du jour. Même prévenus du danger représenté par le jeu au pied de pression de leur adversaire, les Bleus ont semblé découvrir le problème.

« Ils n’ont pas joué sincèrement. A part un essai, ils n’ont marqué que sur du jeu au pied de pression », pointait d’ailleurs l’ailier Gaël Fickou. Terrible aveu. Pour en passer quarante à cette équipe, il ne faudrait même pas forcer son talent. Ou alors les Français sont incapables de percevoir que derrière un plan de jeu bête et méchant, il y a une stratégie bien définie, du talent aussi et pas mal de labeur.

Morgan Parra l’a bien remarqué. Dans les mots du demi de mêlée, il perçait comme une remise en cause du travail du staff tricolore. « On ne travaille pas assez à l’entraînement les choses du haut niveau, observe le demi de mêlée. Les Anglais sont sûrs de leur stratégie, de ce qu’ils veulent faire. On est capable de le faire aussi. Est-ce qu’on le travaille ? Non. »

Guilhem Guirado et Dany Priso, le 10 février à Twickenham. / ADRIAN DENNIS / AFP

Serait-ce le début d’une rébellion à sept mois d’une Coupe du monde (et de retrouver l’Angleterre dès le premier tour) ? C’est sans doute aller un peu vite en besogne. Que ce soit avec Philippe Saint-André ou Guy Novès, la nature frondeuse de l’international français actuel n’a pas sauté aux yeux ces dernières années. Chez certains, la défaite paraît être devenue une seconde peau. Loin d’être le plus déméritant sur la pelouse, l’ailier Damian Penaud - auteur du seul essai français - concédait que ses copains et lui « se sont regardés les pompes à la fin du match ».

A 22 ans et huit sélections, Penaud n’a toujours pas connu la victoire. Il incarne pourtant l’avenir d’un rugby français qui se raccroche aux promesses sa génération des champions du monde des moins de 20 ans en 2018. Quand la guerre était perdue depuis un bon moment, Jacques Brunel a d’ailleurs envoyé au front Romain Ntamack, Thomas Ramos, et Antoine Dupont, respectivement 19, 23 et 22 ans. « Les jeunes ont montré du tonus et de l’envie, c’est bien pour l’avenir », positive le sélectionneur, qui doit donner vendredi donner sa liste pour France-Ecosse le 23 février. A priori, le Gersois n’a pas prévu de grands chamboulements. A 65 ans, il se voit peut-être trop vieux pour commencer une carrière de révolutionnaire. Les rêves de grand soir d’Olivier Magne risquent de devoir attendre.