Des affiches de campagne des deux favoris du scrutin présidentiel au Nigeria, le chef de l’Etat sortant, Muhammadu Buhari, et Atiku Abubakar, à Lagos le 4 janvier 2019. / PIUS UTOMI EKPEI / AFP

Dans un pays aussi divisé que le Nigeria, un tel consensus est rare : « c’est une formalité », « cela ne va rien changer pour le peuple », « c’est toujours la même chose »… Ces mots reviennent dans toutes les bouches. A Lagos, dans les beaux hôtels comme dans les taudis. A Abuja, la capitale fédérale. Même dans l’Etat du Plateau, une zone sensible située à la jonction d’un nord majoritairement musulman et d’un sud à dominante chrétienne, les Nigérians s’accordent sur un point : les élections générales n’enthousiasment pas.

Samedi 16 février, quelque 85 millions d’électeurs – sur les 190 millions d’habitants que compte le pays – doivent se rendre aux urnes pour choisir, notamment, leur futur président. Si 73 candidats sont inscrits, la vraie bataille oppose le chef de l’Etat sortant, Muhammadu Buhari, et Atiku Abubakar, un ancien vice-président. Deux poids lourds de la politique nigériane, tous deux septuagénaires et très critiqués. Ils incarnent peu d’espoir de changement pour la jeunesse, alors que les moins de 35 ans représentent 70 % de la population, tandis que les perspectives d’amélioration de l’économie pour les plus défavorisés sont mauvaises.

La dernière fois que le Nigeria a élu un président, en 2015, il venait de devenir la première puissance économique du continent. Mais la récession qui a suivi a ruiné les espérances. Aujourd’hui, le colosse aux pieds d’argile se remet difficilement. Il devrait voir son PIB augmenter de 1,9 % en 2019, contre 2,3 % initialement prévus. Et sa population, déjà la plus importante d’Afrique, ne cesse de grossir. A la démographie galopante s’ajoute un taux de chômage record, combiné à la pauvreté et à l’insécurité, avec la persistance des tensions intercommunautaires.

Chaos urbain

A quelques jours du grand scrutin, nous avons voulu raconter un petit bout de ce territoire à la fois fascinant et complexe. Au Nigeria, chaque région est un pays, avec ses codes, ses cultures, ses communautés et ses langues. Il faudrait relater 36 histoires pour parvenir à décrypter ce géant d’Afrique de l’Ouest, cette république fédérale divisée en 36 Etats où les structures locales comptent avant tout.

Dans une série en trois épisodes, Le Monde Afrique a choisi de retracer des histoires de Nigérians. Qu’ils soient des entrepreneurs innovants, des « cafards que l’on veut pulvériser au profit des riches » dans le chaos urbain de Lagos, mégapole de 20 millions d’habitants, ou des agriculteurs nourris par la haine dans la ceinture centrale du pays. Car l’un des conflits les plus meurtriers du Nigeria moderne oppose, dans l’Etat du Plateau, cultivateurs – en majorité chrétiens – et éleveurs – musulmans pour la plupart. Ils vivaient en paix, témoignent-ils, jusqu’à ce que les tensions politiques instillent un climat de guerre de religion, sonnant le glas de leur cohabitation. L’économie de la région est à l’arrêt. Jos, la capitale, s’éteint à la nuit tombée.

Pendant ce temps, à 1 000 kilomètres de là, Lagos, la métropole de tous les extrêmes, est en perpétuel mouvement. Le mouvement, parfois, de gens évincés, écrasés par l’arrivée d’un nouveau méga-projet immobilier destiné à tous ces riches qui continuent de s’enrichir. Quelle différence les élections feront-elles pour ces millions d’oubliés du développement, privés de tous les services de base qu’un citoyen considère comme un droit à la ville ?

Des entrepreneurs acharnés répondront qu’il ne faut pas attendre que le gouvernement agisse. En fondant des start-up, ils ont fait revenir la lumière dans la ville, où les générateurs bruyants ne sont accessibles qu’aux nantis. Ils ramassent les ordures et en font profiter les habitants. C’est aussi cela, le Nigeria. Une énergie insolente. Et beaucoup d’autres choses encore.