Une affiche de campagne du président sénégalais Macky Sall dans le quartier de Ngor, à Dakar, le 6 février 2019. / Matteo Maillard

Des kilomètres de bitume et l’on ne voit que lui. Regard cerclé de fines lunettes et sourire assuré. « Un Sénégal pour tous, votez Macky président ». De Dakar à sa proche banlieue, les affiches s’égrènent tous les vingt mètres. « Il prend toute la place », peste un chauffeur de taxi. Sur le rond-point, une tente de campagne arbore les couleurs brun crème de l’Alliance pour la République (APR), le parti de Macky Sall. De jeunes militants distribuent des tracts dans les embouteillages, tandis qu’un haut-parleur crachote une chanson de Youssou N’Dour à la gloire du président sénégalais : « Je veux vivre, rester libre, je veux m’envoler, vers le ciel ».

Elu en 2012 face à Abdoulaye Wade, le chef de l’Etat sénégalais sortant sera candidat à sa réélection lors du scrutin présidentiel qui se tiendra le 24 février. Il affrontera quatre challengers : le nationaliste Ousmane Sonko (Pastef), le religieux Issa Sall (PUR) et les anciens camarades de parti passés à l’opposition, Idrissa Seck (Rewmi) et Madické Niang (Madické2019).

Une lente reconquête politique

Le sortant a sur eux une longueur d’avance dont il compte bien jouer : un bilan de bâtisseur. En sept années, Macky Sall a fait construire un aéroport international, un Musée des civilisations noires, deux stades, un pont transnational et des centrales solaires… A deux semaines du scrutin, le président candidat multiplie les inaugurations et sillonne le pays pour défendre ses réalisations, prenant soin de ne pas contourner les espaces oubliés du territoire.

Il n’est pas encore midi ce 6 février, que le soleil repousse déjà les ombres. Le cortège présidentiel s’enfonce dans un décor de brousse filasse piquée d’acacias. Direction l’extrême est du pays et la petite ville de Matam, calfeutrée au bord du fleuve Sénégal, à la frontière de la Mauritanie. Macky Sall a prévu de tenir meeting dans un grand stade de cette terre du Fouta, qui a vu grandir ses parents, et demeure le fief de ses plus grands supporteurs.

C’est en grande partie de là que l’homme a construit son ascension politique. Premier ministre d’Abdoulaye Wade de 2004 à 2007, puis président de l’Assemblée nationale, il est écarté de toutes ses fonctions en 2008 pour avoir osé convoquer le fils du président, Karim Wade, dans une affaire de malversations financières. Il quitte alors le Parti démocratique sénégalais (PDS). Vingt ans de vie politique auprès de son mentor sont effacés. Il vient alors se ressourcer auprès des siens avant d’engager une lente reconquête politique, le menant à créer sa propre formation libérale, l’APR en 2008.

« Il travaille pour l’intérêt général »

Macky Sall se lance dans une « longue marche » de 80 000 km afin d’ancrer son nouveau parti dans toutes les régions du Sénégal. « Il s’agissait, non d’un programme idéologique, mais de la nécessité absolue de quitter les villes pour aller explorer les coins les plus reculés du pays (…). Là où l’électricité était inexistante et l’eau une manne aussi convoitée que lointaine », révèle-t-il dans sa biographie Le Sénégal au cœur (éd. Le Cherche Midi, 2018).

Au contact des populations rurales, il définit trois priorités : l’accès à l’eau, à l’électricité et à des routes praticables. La démarche paie. Il emporte un premier succès aux élections locales de 2009 et, trois ans plus tard, bat Abdoulaye Wade, son mentor devenu rival à la présidentielle. « Pour mes amis, l’élection se jouerait dans les grandes villes (…). Je leur rétorquais qu’on avait trop longtemps oublié ce Sénégal rural, ces populations qui ne voient jamais personne, qui ne connaissent pas l’ombre d’un fonctionnaire de l’Etat. », raconte-t-il dans ses mémoires.

Les minarets de la grande mosquée du village de Ndouloumadji Founébé, financée par le président sénégalais Macky Sall, le 6 février 2019. / Matteo Maillard

Aujourd’hui, à Ndouloumadji Founébé, village de naissance d’Amadou Abdoul Sall, le père du président, ce dernier est présent partout. En plus de la mosquée et de la route, il a fait construire une école et un forage. « C’est un homme qui travaille pour l’intérêt général et il ne craint personne », assure Djiby Sall, son oncle de 81 ans. Le village de 2 500 habitants, fait de maisons de terre, de briques et de bois, est presque désert. « Ils sont tous partis au meeting ! Et je vais bientôt les y rejoindre », s’exclame Ibrahima Ly, le chef du hameau alors que trônent chez lui une dizaine de photos de l’enfant du pays accolées à celles d’Obama ou de chefs religieux.

L’endroit compte quand même un opposant politique ou plutôt un repenti. Abou Ly, 45 ans, qui s’est détourné du « grand frère » après 2012. A ses yeux, « il n’a rien fait pour la région. Le chômage des jeunes a augmenté, il n’a pas aménagé les terres et il n’y a plus de place à l’école ».

Accueillir le fils prodigue

Alors qu’affluent les pick-up chargés de militants venus assister au meeting, un groupe de jeunes du coin observent le ballet, accoudés à leur scooter. Des « Jakarta », du nom de leur moto-taxi, avec lesquelles ils gagnent moins de 5 000 francs CFA par jour (7,60 euros). « C’est soit ça, soit le champ, balance Bokar Sy, 21 ans. Au moins, sur la moto, on n’a pas les mains dans la terre et le dos brisé comme nos parents. » Ils appartiennent à la génération « Barça ou Barsakh » (Barcelone ou la mort) et bon nombre de leurs amis ont déjà choisi de quitter cette « vie de merde » en prenant une pirogue pour l’Europe.

Enclavée, Matam est l’une des régions les plus pauvres du Sénégal, régulièrement victime de famines, la sécheresse grevant les récoltes. Le taux d’emploi n’y dépasse pas les 37 %. « Les gens ne se fatiguent plus à cultiver, car les jeunes au chômage migrent et envoient ensuite de l’argent à la famille restée ici », explique M. Ndao, tenancier d’une petite pension. La zone est ainsi « le deuxième foyer de départ des migrants sénégalais », selon l’Organisation internationale des migrations.

« Je n’aime pas Macky Sall. Il ne fait rien pour nous », tranche Bachir, 34 ans, capiston de la bande de « Jakarta ». En plus, il a éliminé par la justice tous ses concurrents comme Karim Wade et Khalifa Sall [le fils de l’ex-président Abdoulaye Wade et l’ancien maire de Dakar n’ont pas été autorisés à se présenter à la présidentielle en raison d’ennuis judiciaires]. Je ne connaissais qu’eux, alors je ne voterai pas. »

Au stade de Matam, des milliers de sympathisants portant les couleurs de l’APR sont venus de tous les villages accueillir le fils prodigue. De la tribune, Macky Sall harangue ses partisans. « Je suis le fils adoptif de toutes les villes et villages du pays », lance-t-il. « Dès ma réélection, je vais engager le chantier d’une route de 300 km ! Je construirai un aéroport en 2020 et aménagerai 30 000 hectares de terre à Matam et Kanel. », promet-il, avant de repartir sirènes hurlantes vers un autre meeting.