Le ministre tunisien des affaires étrangères, Khemaies Jhinaoui (au centre), en compagnie de ses homologues algérien, Abdelkader Messahel (à gauche), et égyptien, Sameh Choukri, à Tunis, le 19 février 2017. / Zoubeir Souissi / REUTERS

Tribune. En 1989, les cinq pays du Maghreb, à savoir l’Algérie, la Libye, le Maroc, la Mauritanie et la Tunisie, établissaient l’Union du Maghreb arabe afin de promouvoir la coopération et l’intégration de ces pays d’Afrique du Nord. A l’époque, il était admis qu’une plus grande intégration économique présentait des avantages manifestes. Malheureusement, ces efforts n’ont pas été fructueux. Trente ans plus tard, une question fondamentale subsiste : est-il encore avantageux pour le Maghreb de trouver sa propre voie vers un avenir économique davantage intégré ?

Alors que les tensions commerciales s’exacerbent à l’échelle internationale et que les blocs économiques régionaux en Amérique et en Europe rencontrent des difficultés, il reste évident que l’intégration d’économies voisines est mutuellement bénéfique et constitue une source importante de croissance à long terme.

Faire face au même défi

Les pays du Maghreb partagent une histoire, une culture et des langues. Ils sont situés stratégiquement entre, au nord, les économies avancées d’Europe et, au sud, les économies à fort potentiel d’Afrique subsaharienne. Aussi diverses soient-elles, les économies de ces pays font toutes face au même défi : offrir des opportunités à chacun. La croissance dans la région est trop faible depuis trop longtemps et n’a pas permis de créer suffisamment d’emplois. A 11 %, le taux de chômage est élevé, surtout pour les jeunes (24 %) et les femmes (14 %). La pauvreté et les inégalités n’ont guère baissé depuis les révoltes du monde arabe en 2011.

Les pays du Maghreb ont, chacun de leur côté, accompli des progrès considérables sur le plan du commerce, mais la région reste l’une des moins intégrées du monde. Les échanges commerciaux au sein du Maghreb représentent moins de 5 % du total des échanges de la région, soit bien moins que dans toutes les autres zones commerciales régionales du monde. En Asie, par exemple, où la croissance annuelle moyenne pour les dix dernières années a été proche de 6 %, le commerce intrarégional représente 51 % du total. De fait, des considérations géopolitiques et des politiques économiques restrictives ont entravé l’intégration régionale au Maghreb.

Le commerce, l’une des priorités

En conséquence, aucun des cinq pays n’a l’un de ses voisins comme principal partenaire commercial, et le commerce intrarégional ne concerne que quelques biens, principalement des produits de base. Le commerce des services, en particulier le tourisme, progresse, mais lentement. L’investissement des entreprises entre les pays de la région est faible également, en comparaison avec d’autres régions. L’intégration financière est modeste et les migrations officielles au sein de la région semblent mineures.

Les questions du commerce inclusif et de l’intégration économique prennent une importance grandissante. Il y a un an environ, des représentants des pays du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord, parmi lesquels tous les pays du Maghreb, se sont rencontrés à Marrakech pour examiner comment promouvoir au mieux la croissance, l’emploi et l’inclusion dans le monde arabe. Le commerce a été identifié comme l’une des priorités.

Plus de résilience

Selon une étude récente du FMI, une plus grande intégration économique entre les pays du Maghreb créerait un marché régional de près de 100 millions de personnes disposant d’un revenu moyen d’environ 12 000 dollars (quelque 10 000 euros) en parité de pouvoir d’achat. L’intégration rendrait la région plus attrayante pour les entreprises et les investisseurs étrangers, réduirait le coût du commerce intrarégional, du capital et des mouvements de main-d’œuvre, et accroîtrait l’efficience des dépenses publiques. Elle conférerait aussi au Maghreb plus de résilience face aux chocs économiques et à la volatilité des marchés.

Selon certaines estimations, l’intégration régionale pourrait rehausser la croissance dans chaque pays du Maghreb d’un point de pourcentage en moyenne à long terme. Nos analyses montrent que presque chaque pays du Maghreb peut trouver des catégories de produits nouveaux qu’il pourrait exporter vers les pays voisins. En fait, le commerce intrarégional pourrait doubler grâce à l’intégration, ce qui accélérerait encore la croissance et créerait davantage d’emplois.

L’intégration pourrait aussi favoriser la création de chaînes de valeur régionales et faire du Maghreb une plaque tournante du commerce et de l’investissement entre l’Afrique subsaharienne et l’Europe. Enfin, une meilleure intégration renforcerait la capacité de négociation de la région dans des domaines d’intérêt commun.

Jihad Azour est directeur du département Moyen-Orient et Asie centrale au sein du Fonds monétaire international, et ancien ministre des finances du Liban.