OCS, mercredi 13 février, documentaires

Faire entrer le temps dans l’image par des plans longs, maîtriser les silences pour valoriser la parole des personnages… le style du cinéaste Raymond Depardon, 76 ans, également photoreporter et fondateur de l’agence Gamma, est légendaire. Le bouquet de chaînes OCS a la bonne idée de lui consacrer, mercredi 13 février, une soirée spéciale et une programmation à la demande.

Parmi les huit films mis à disposition, la trilogie Profils paysans retient triplement l’attention. D’abord pour ce « style » Depardon, particulièrement approprié au sujet ; ensuite parce que ces trois documentaires, sortis entre 2001 et 2008, trouvent un écho particulier avec l’actualité d’un monde rural en mal de reconnaissance ; enfin pour la place à part qu’ils occupent dans la vie de Raymond Depardon, lui-même fils d’agriculteurs. L’adolescent a en effet quitté la ferme familiale à 16 ans, pour partir sur les traces de Walker Evans, photographe célèbre alors pour ses clichés sur la crise américaine des années 1930.

Le déclic

Ce n’est que beaucoup plus tard, à la faveur d’un reportage photo pour le journal Le Pèlerin, en 1996, que Raymond Depardon réalise que les petites fermes d’élevage comparables à celle de ses parents existent encore. Il n’est donc pas trop tard ! Le cinéaste voit là le moyen de se rattraper de ne jamais avoir filmé son père, et de se déculpabiliser d’être parti si jeune.

Pour avoir le temps de gagner la confiance des agriculteurs peu habitués à parler, il décide de filmer sur plusieurs années dans les lieux les plus menacés selon lui : de petites exploitations en Lozère, Ardèche et Haute-Loire. Il tourne avec des pellicules de 24 heures normalement utilisées pour les sitcoms. Le premier film, L’approche (2001) est tourné en hiver, dans la brume, la pluie, la boue, sur une musique de Gabriel Fauré, Elegie opus 24.

Marcelle Brès, en Lozère, près de Florac sur la commune de Pont-de-Monvert. / PRODUCTION / PALMERAIE ET DÉSERT

L’approche porte bien son nom. Le cinéaste y est en phase d’apprivoisement. Le spectateur également, qui ne peut imaginer en découvrant les personnages que leur histoire va le tenir en haleine plus de quatre heures (trois fois un peu plus d’1 h 20). Le procédé est récurrent. Lorsque le véhicule de l’équipe de tournage s’immobilise à l’abord d’une ferme, Raymond Depardon présente ses habitants : « Marcelle Brès, en Lozère près de Florac sur la commune de Pont-de-Monvert, 85 ans, veuve et retraitée. » Elle attend un voisin, Marcel Privat, 80 ans, du Villaret distant de 5 km. Avec son frère, Raymond Privat, 77 ans, leur neveu, Alain Rouvière, 44 ans, et leur nièce, Monique Rouvière, 40 ans, les Privat élèvent 90 brebis et 40 vaches.

Changement de décor. Au Mazet, Paulette et Robert Maneval sont guillerets. Ils sont les seuls à avoir une cuisine peinte de couleur gaie. Robert commente la baisse du prix du veau. Le premier film tente de capter les difficultés financières, les transactions entre éleveurs et marchands de bestiaux, « des voleurs », selon Robert Maneval.

L’enterrement de Louis Brès, 85 ans, clôt L’Approche et ouvre Le Quotidien, deuxième volet de la trilogie sorti en 2005. A l’écran, la peine écrase les dos voûtés et fait plier les têtes blanches. Marcel Privat va dans la montagne et pleure sans bruit.

Marcelle Brès ne craint plus la caméra. A une passante qui s’étonne : « Pourquoi il me filme ?

– Parce que tu es là », répond la vieille dame.

Nouvelles têtes

En Haute-Loire, Paul Argaud vit toujours seul au Fraycinet. Look baba cool, cheveux longs, Gitane maïs aux lèvres, il ne répond que par « oui », « oui-oui » ou très rarement « non » aux questions de Raymond Depardon.

Le célibat, la transmission, l’Europe même sont abordés dans Le quotidien. De nouvelles têtes apparaissent, jeunes, comme Amandine et Michel Valla, qui s’installent au Mazet, avec l’idée de monter une chèvrerie. Amandine est souriante, optimiste, enthousiaste.

Au Fraycinet, Paul Argaud, 63 ans en 2008, va acheter son pain en tracteur. / PRODUCTION / PALMERAIE ET DÉSERT

Quatre ans plus tard, dans La vie moderne, qui clôt la trilogie en 2008, le couple n’a que trois chèvres, mais déjà deux filles. « Au commencement il y a ces routes. Au bout des routes il y a les fermes. Au Villaret, 21 h 30, c’est l’été. » Raymond Depardon est désormais accueilli en confiance. Marcel Privat lui confie qu’il a du mal avec la nouvelle femme de son neveu, une mère de famille rencontrée par petites annonces et venue du Pas-de-Calais avec sa fille de 15 ans.

Au Fraycinet, Paul Argaud, 63 ans, a toujours les cheveux longs, mais les joues sont creusées. Il regarde les obsèques de l’abbé Pierre retransmises à la télé ce 26 janvier 2007. Une scène qui a marqué Raymond Depardon : « C’est au-delà d’un travail d’acteur », déclarait-il au Monde le 19 mai 2008.

Retour une dernière fois chez Marcel Privat, le plus attachant. A 88 ans, il n’a plus que trente brebis, il entend mal et la santé, « c’est à peu près ». « Dans quelques jours il n’aura plus la force de sortir, ajoute la voix off. Raymond le remplacera. » La silhouette de Raymond Privat se détache sur l’horizon quand la voiture de Raymond Depardon s’éloigne. Le paysan est persuadé désormais que le cinéaste reviendra.

Avec « 12 jours », Depardon cherche à éviter les « poncifs de la psychiatrie au cinéma »
Durée : 03:44

Soirée spéciale sur OCS City le 13 février : 20 h 40, 12 jours, inédit à la télévision (2017), 10e chambre, instants d’audience (2003), Raymond Depardon, portrait de Marc Iskenderian (2019).

A la demande à partir du 13 février sur OCS : 1974, une partie de campagne (1974), San Clemente, du nom de l’hôpital psychiatrique proche de Venise (1980), Faits divers, sur les gardiens de la paix parisiens (1982), Urgences (1987), Délits flagrants (1994) et la trilogie des Profils paysans avec L’approche (2001), Le quotidien (2005) et La vie moderne (2008).