Jamais Laurent Fabius n’avait présidé d’audience du Conseil constitutionnel devant un public aussi fourni. Quelque cent quatre-vingts personnes, magistrats, avocats, fonctionnaires de justice et étudiants triés sur le volet ont assisté mardi 12 février dans la salle de la cour d’assises de Metz à la première audience délocalisée en région de l’institution de la rue de Montpensier. Elle examinait à cette occasion deux questions prioritaires de constitutionnalité (QPC), cette procédure qui permet depuis 2010 à tout justiciable de demander de vérifier la conformité à la Constitution d’une disposition législative qui lui est opposée.

C’est l’esprit léger, dans une ambiance de sortie de classe, que huit des neuf membres du Conseil constitutionnel ont pris le TGV, accompagnés du secrétaire général, de plusieurs membres du personnel et de l’huissier, sa queue-de-pie dans une valise à roulettes et sa lourde chaîne d’argent dans une belle boîte de la Monnaie de Paris sous le bras. Nicole Maestracci, membre du collège, s’est amusée de « voir certains journalistes venir pour l’audience à Metz alors qu’on ne les voit jamais à nos audiences à Paris ». Preuve que cette idée de délocalisation est un « coup de com » réussi.

A guichets fermés

De fait, la cour d’appel de Metz recevait à guichets fermés. L’université de droit n’a obtenu que dix-huit places pour ses étudiants et deux accompagnants pour cette audience-sortie de classe. Le public aussi a eu un accès limité. Catherine Nicloux, contractuelle à Pôle emploi depuis vingt-cinq ans, syndicaliste, avait vu passer une info sur Google et a pu s’inscrire une semaine plus tôt auprès du greffe du Conseil :

« Je veux voir comment fonctionne une audience car j’ai une question que je souhaite leur poser plus tard sur l’application de loi Sauvadet à Pôle emploi. »
La QPC représente 80 % des décisions du Conseil constitutionnel

La QPC a connu un véritable succès en quelques années et représente désormais 80 % des décisions du Conseil constitutionnel. M. Fabius souhaite par ce déplacement que l’« institution prestigieuse » qu’il préside se montre soucieuse « de proximité avec les citoyens et [fasse preuve] d’ouverture ». Dès le printemps et à peine nommés les successeurs de Lionel Jospin, Michel Charasse et Jean-Jacques Hyest − leur mandat s’achève le 11 mars −, une nouvelle audience délocalisée se tiendra à la cour administrative d’appel de Nantes. Car il faut préserver l’équilibre entre les deux ordres juridictionnels, judiciaire et administratif, qui alimentent en QPC les gardiens de la Constitution.

Sous l’imposante peinture représentant la levée du siège de Metz en 1553 par Charles Quint, épuisé par la résistance de la ville, a ainsi été examinée une QPC sur un litige entre locataires et bailleur. La propriétaire à l’origine de cette procédure estime contraire à la Constitution la majoration correspondant à 10 % du loyer par mois de retard dans la restitution du dépôt de garantie. A l’issue d’un différend tranché par la justice, elle avait dû rendre 177 euros à ses locataires après déduction des impayés sur les 1 000 euros laissés en garantie… mais la majoration pour retard s’est montée à 1 900 euros.

« Une sanction sans corrélation avec le préjudice », a plaidé son avocate. « Une astreinte destinée à éviter au locataire de recourir au juge pour obtenir la restitution du dépôt de garantie », a rétorqué le représentant du gouvernement qui défendait la constitutionnalité de cette disposition de la loi pour l’accès au logement et un urbanisme rénové (dite loi ALUR) de 2014. Le Conseil constitutionnel rendra sa décision le 22 février.

Sur le quai de la gare de Metz, la nuit tombe, un voyageur interpelle Lionel Jospin pour faire un selfie, auquel ce dernier se prête volontiers. Sortir de Paris fait du bien.