LES CHOIX DE LA MATINALE

Programme varié cette semaine sur les écrans avec Vice, portrait au vitriol de l’homme politique américain Dick Cheney porté par Christian Bale, Alita, adaptation du manga Gunnm, ou encore Le Silence des autres, patiente exhumation de la mémoire espagnole, empêchée à la chute du franquisme par la loi d’amnistie.

« Vice » : Adam McKay taille un costume à Dick Cheney

VICE : BANDE-ANNONCE
Durée : 01:59

Film édifiant au programme aujourd’hui, grâce auquel Dick Cheney – homme politique américain de 78 ans, stratège tapi dans l’ombre des gouvernements républicains, âme damnée du courant néoconservateur, instigateur de la fallacieuse guerre d’Irak et de son cortège de calamités – se fait tailler un costume sur mesure par le réalisateur Adam McKay.

On aura le loisir de le suivre en chef de cabinet sous Gérald Ford, en secrétaire à la défense sous George Bush père, en vice-président des Etats-Unis sous George Bush fils. Rien moins que quarante ans d’histoire politique.

Pour relever ce défi, le film recourt à deux ressorts. Le premier est, bien sûr, la performance de l’acteur qui incarne le personnage, toujours très prisée dans le cinéma hollywoodien et pourvoyeuse de diverses statuettes en métal. C’est Christian Bale, transformiste hors pair, qui s’y colle. Le second est l’énergie folle de la narration qui se conjugue à un certain maniérisme déconstructeur. Il en résulte, sous les oripeaux du film d’investigation, une satire explosive, implacable et cruelle. Jacques Mandelbaum

« Vice », film américain d’Adam McKay. Avec Christian Bale, Amy Adams, Steve Carell, Sam Rockwell (2 h 12).

« Alita » : une débauche de pixels aux relents de série B

Alita : Battle Angel | Nouvelle Bande-Annonce Officielle | VF HD | 2019
Durée : 02:45

Cette histoire se passe dans une de ces villes où vivotent les humains après l’apocalypse, pendant qu’au-dessus d’eux flotte une île d’abondance. L’architecture, l’atmosphère des rues évoquent vaguement l’Amérique latine, plus sûrement une impression de déjà-vu.

C’est dans la décharge d’Iron City, remplie des détritus jetés de l’île dans le ciel, que le docteur Ido a découvert les restes d’un cyborg au physique d’adolescente. Après lui avoir rendu une forme humanoïde, le docteur se spécialise dans l’augmentation des capacités sportives des adeptes du motorball, sport ultraviolent et opium du peuple.

Une demi-heure en moins, un pedigree moins illustre et Alita : Battle Angel remplirait avec les honneurs son office de film du samedi soir. Mais cette adaptation du manga Gunnm est attendue depuis si longtemps qu’elle croule sous le poids des désirs et des craintes. Ceux des millions de lecteurs de Yukito Kishiro, ceux des fidèles de James Cameron qui en a acquis les droits – sur les conseils de Guillermo del Toro – au début de ce siècle.

On doit sans doute à Robert Rodriguez le parfum de série B qui flotte sur le film. C’est cet arôme qui dissipe en partie l’impression qui naît, au bout de ces deux heures de débauche de pixels organisés en trois dimensions, d’assister à une démonstration de savoir-faire destinée à on ne sait quels investisseurs. Thomas Sotinel

« Alita », film américain de Robert Rodriguez. Avec Rosa Salazar, Christoph Waltz, Mahershala Ali, Jennifer Connelly (2 h 02).

« Dans la terrible jungle » : le handicap filmé sous l’angle de la joie

BA - DANS LA TERRIBLE JUNGLE (ACID Cannes 2018) - Sortie le 13 février 2019
Durée : 01:44

Léa est au micro, Ophélie aux percussions : l’une chante, l’autre tape. Alexis arpente la pelouse d’un pas mystérieux, derrière son masque de Batman, tandis que Médéric, dans son fauteuil électrique, marmonne, en voix off, l’étrange commentaire de ce film inclassable.

Comme son titre l’indique, Dans la terrible jungle, premier long-métrage d’Ombline Ley et Caroline Capelle, est une œuvre habitée par un imaginaire puissant et débordant : celui des adolescents de La Pépinière, un centre qui accueille des jeunes atteints de troubles visuels et d’autres handicaps, à Loos (Nord). Dans ce lieu clos, champêtre, séparé de la « civilisation », les deux réalisatrices ont posé leur caméra pour capter la vie réelle et fantasmée de Léa, Médéric, Ophélie, Gaël, Emeline, Alexis, Valentin et les autres.

Expérience fantasque, profonde, légère et colorée comme une bulle de savon, Dans la terrible jungle est une injection pure à la joie et au burlesque. Le film révèle un autre monde où le mot « handicap » disparaît comme un cachet effervescent. Ne restent que des êtres singuliers, uniques, que les éducateurs accompagnent avec la plus grande bienveillance. Clarisse Fabre

« Dans la terrible jungle », documentaire français d’Ombline Ley et Caroline Capelle (1 h 21).

« Le Silence des autres » : une déclaration de guerre à l’oubli

Le Silence des Autres (documentaire) / Bande-Annonce / Au cinéma le 13 février 2019
Durée : 02:00

Une très vieille femme marche le long d’une route toute neuve, à travers la campagne. Une caméra suit son lent cheminement jusqu’à un endroit que rien ne distingue. Elle y dépose quelques fleurs. Elle s’arrête et raconte : c’est là que sa mère a été jetée dans une fosse commune, après avoir été arrêtée, déshabillée, humiliée puis assassinée. C’était il y a plus de 80 ans, au moment du coup d’Etat militaire contre la république espagnole.

La mère martyre est tombée sous les balles franquistes, comme des dizaines de milliers d’autres victimes. A la chute de Franco, la loi d’amnistie a bâillonné les survivants, ligoté les organisations de défense des droits de l’homme, empêchant – au nom de l’unité nationale – le travail de mémoire. Le Silence des autres est à la fois l’histoire de cet effacement et celui du mouvement qui, pendant la dernière décennie a entrepris de briser le silence.

Les auteurs, l’Espagnole Almudena Carracedo et l’Américain Robert Bahar, ont su saisir ce dégel à ses premiers moments et l’accompagner, ce qui donne à leur film – mis en chantier en 2010 – la force dramatique d’un récit de combat. T. S.

« Le Silence des autres », documentaire espagnol et américain d’Almudena Carracedo et Robert Bahar (1 h 35).