Erwan FAGES

Le cliché de l’agent ­immobilier au volant d’une belle voiture, le compte en banque garni, naviguant de somptueuses demeures en propriétés design, a la vie dure. Ce secteur – qui recrute massivement, notamment des bac + 2 et bac + 3 – attire de nombreux jeunes. Mais les réalités du quotidien font souvent l’effet d’une douche froide.

Léo Philippe, 23 ans, maîtrise sur le bout des doigts les biens de Châtenay-Malabry (Hauts-de-Seine). Négociateur en immobilier, détenteur d’un bachelor professions immobilières, il a trouvé sa voie dans un métier où il apprécie « les contacts humains », l’autonomie au quotidien mais aussi la découverte de logements parfois hors du commun.

Comme lui, 90 % des étudiants arrivent en formation aux métiers de l’immobilier avec en tête l’activité de négociateur, expliqueFrançoise Sgarbozza, directrice de l’Institut du management des services immobiliers (IMSI) de Toulouse, qui forme du BTS au master à Paris, Lyon et en Haute-Garonne. « Stéphane Plaza nous a aidés à redorer le blason de nos professions », déclare-t-elle, amusée, en référence au célèbre agent et animateur télévisé. Avec des salaires bruts pouvant atteindre 33 000 à 50 000 euros annuels en trois ans, voire dépasser les 100 000 euros pour les meilleurs, l’espoir d’ascension sociale est réel pour des jeunes ayant souvent des trajectoires scolaires ­assez courtes.

Solides bases juridiques

Techniques de vente, notions de gestion et de comptabilité : la scolarité est tournée vers la pratique. En donnant de solides bases juridiques aux élèves. « Nous sommes dans un pays où l’activité est très encadrée. On ne vend pas un appartement comme on vendrait une savonnette », souligne Françoise Sgarbozza. La responsable insiste aussi sur les soft skills, ces compétences liées au comportement des salariés. ­ « Savoir vendre, ce n’est pas être extraverti, prévient-elle. Il faut commencer par se taire et écouter les besoins du client. Le bon vendeur, c’est celui qui saura y répondre ! » En bachelor, comme en BTS, les étudiants bénéficient de cours spécifiques pour répondre aux exigences de leurs futurs employeurs. Dans un domaine qui recrute massivement, ces profils sont très recherchés. Depuis vingt ans, l’IMSI peut se targuer d’avoir placé 100 % de ses jeunes diplômés – comme de nombreuses écoles du secteur.

S’il est possible de devenir ­négociateur immobilier sans formation spécifique ou avec une orientation dans le commerce en général, Jean-Marc Torrollion, président de la Fnaim, premier syndicat des professionnels du milieu, insiste sur l’intérêt de la formation, notamment en alternance, qui permet aux étudiants « d’affiner leur projet professionnel ». Autre grand atout des formations du secteur : offrir une « culture générale globale en immobilier ». « C’est très précieux, poursuit Jean-Marc Torrollion. Quand vous faites de la vente, vous devez savoir ce qu’est une ­copropriété, avec sa ­dimension ­juridique, mais aussi le fonctionnement des charges, les travaux, etc. Je préfère avoir dans mes équipes des personnes qui ont abordé ces sujets en cours plutôt que celles qui ont essentiellement une sensibilité commerciale. Le métier de négociateur exige du professionnalisme. »

Pot commun

Deux ans et demi après l’obtention de son bachelor, bien installé professionnellement, Léo Philippe le confirme : « Les compétences acquises en cours m’ont permis d’apporter réellement quelque chose à mon entreprise. Je maîtrisais le vif du sujet car les formateurs sont des professionnels de l’immobilier. C’est du concret ! »

En tant que salarié, il bénéficie de la Sécurité sociale et cotise pour le chômage et la retraite. Particularité de son agence : le produit des ventes atterrit dans un pot commun, partagé entre les agents. « Clairement, c’est très sécurisant », confie le jeune homme, même si son pourcentage de vendeur est moindre que ce qu’il pourrait être ailleurs.

Cependant, le cas de Léo Philippe est loin d’être la norme. Les négociateurs sont souvent indépendants, payés à la commission. Si les meilleurs d’entre eux peuvent prétendre à de belles rémunérations, leur ­situation demeure précaire. « Il faut prendre conscience que c’est un statut où on ne dispose pas de filet. Les débuts peuvent être extrêmement difficiles, confirme Jean-Marc Torrollion. Il faut bien deux ans pour parvenir à percer et avoir un flux d’affaires permettant un ­revenu récurrent. En conséquence, il faut être solide sur le mental ! »

Vingt-six transactions en deux ans

C’est le cas de Benjamin (qui n’a pas souhaité communiquer son nom de famille), 29 ans, titulaire d’un BTS immobilier. « J’ai toujours été attiré par ce côté challenge : on travaille, mais, en même temps, on joue. Je me suis vraiment découvert dans ce ­métier », explique l’agent installé en région parisienne.

Mais, malgré la motivation, tous ne parviennent pas à percer dans la transaction. Jean-Marc Torrollion estime qu’un jeune sur deux abandonnera ce rêve. Après un premier poste en gestion locative dans une agence grenobloise, Charline Simon, 28 ans, a choisi de s’orienter vers la vente. En deux ans, elle réalise vingt-six transactions. Pas suffisant pour s’assurer un revenu correct. « Par rapport à mon poste précédent en location, j’ai gagné 10 000 euros de moins sur une année, déplore-t-elle. Tout est très incertain. On ­dépend de la conjoncture, des clients… C’est stressant. » Après deux mois sans ventes, elle perd pied. Coup de chance : son responsable lui propose de revenir en location. « Cela m’a permis d’investir dans l’immobilier à mon tour et, surtout, de dormir à nouveau la nuit ! », confie-t-elle.

La sociologue Lise Bernard, chargée de recherche au CNRS, a écrit La Précarité en col blanc. Une enquête sur les agents immobiliers (PUF, 2017). En immersion dans une agence parisienne, elle a constaté cette pression forte sur les épaules des commerciaux. Elle dénonce « une rhétorique du sportif professionnel : il faut sans cesse dépasser ses limites. Certains peuvent adhérer à ce discours. Mais, pour d’autres, c’est plus compliqué de pouvoir bien vivre cette incertitude financière, par exemple pour celles et ceux qui sont à la tête d’une ­famille monoparentale ».

Large palette de débouchés

La chercheuse souligne aussi la différence entre l’image dont jouit la profession et la réalité : « On imagine souvent un métier facile, mais la réalité est très différente. Il est par exemple complexe de trouver des logements à vendre. Les agences se développent beaucoup, entraînant une concurrence très forte. » Démarchage, porte-à-porte, appels : les agents doivent multiplier les ­tâches ingrates et essuyer les ­refus de propriétaires très (trop) sollicités.

« La gestion des biens représente aujourd’hui un des leviers de recrutement les plus puissants », Jean-Marc Torrollion

Gare, donc, au cliché de l’argent facile. Vendre des biens et obtenir de nouveaux mandats nécessitent implication et travail. « On ne compte pas nos heures », ­confirme Benjamin. Soirs, samedis, voire dimanches : les agents doivent être disponibles quand leurs clients le sont et être capables de tisser un solide réseau. Pour ceux qui ne trouveraient pas leur place, l’atout des formations courtes en immobilier reste de proposer une large ­palette de débouchés, dans trois directions : la transaction, donc, mais aussi la gestion de biens et le syndic. Une polyvalence qui permet de se réorienter en cas de déconvenue. D’autant que les ­besoins en main-d’œuvre sont bien présents. « La gestion de biens ­représente aujourd’hui un des ­leviers de recrutement les plus puissants, explique Jean-Marc Torrollion. En syndic, il y a également de très belles carrières. » Deux directions ­dépendant peu de la conjoncture économique mais offrant des ­rémunérations gratifiantes.

Et pour ceux qui s’épanouissent dans la transaction, ils peuvent également se projeter dans une carrière ne se limitant pas à augmenter le volume de ventes. « J’espère pouvoir obtenir à moyen terme la tête d’une agence du ­réseau et devenir associé », confie Léo Philippe. Benjamin, lui aussi, entend bien poursuivre dans la vente. Il a monté sa propre structure en 2018 et a pour ambition de lancer un réseau de mandataires indépendants offrant des solutions innovantes tournées vers les nouvelles technologies. Une dimension toujours plus attendue par les clients et un profil numérique très recherché par les employeurs.

Lise Bernard : « Une condition attirante mais fragile »

Trois questions à Lise Bernard, sociologue chargée de recherche au CNRS, auteure de « La Précarité en col blanc. Une enquête sur les agents immobiliers » (PUF, 2017).

Rencontre-t-on un profil type chez les agents immobiliers ?

Non. On y trouve des jeunes, souvent issus de formations commerciales. Mais aussi des personnes entrées dans la profession après une carrière commencée dans un autre secteur : commerçant, cadre d’entreprise, vendeur, secrétaire, agent de sécurité, etc. Certains viennent de milieux sociaux élevés, d’autres de milieux populaires. Ces derniers entrent souvent dans le métier avec un espoir d’ascension sociale. La représentation d’un métier rémunérateur explique aussi la présence d’individus entrant dans le secteur pour rembourser des dettes ou, par exemple, assurer le coût financier d’un divorce.

Quelle image la profession renvoie-t-elle ?

Les clients la perçoivent souvent avec défiance : on entend régulièrement que les services ne sont pas à la hauteur du montant des honoraires. Des éléments confèrent aussi au métier un certain statut social : les agents immobiliers vendent un bien qui occupe une place centrale dans le budget des ménages, peuvent, dans certains cas, percevoir des revenus confortables, et disposent d’une large autonomie dans leur activité.

Ne retrouve-t-on pas le même type de précarité dans d’autres professions ?

La condition des agents immobiliers, attirante mais fragile, est révélatrice de tendances profondes qui traversent la société française. Ils ne sont pas les seuls à être confrontés à une précarité en col blanc. C’est également le cas, par exemple, des commerciaux.