A Salisbury, le 19 mars 2018, devant le restaurant où se son rendus Sergueï Skripal et sa fille avant d’être retrouvés couchés sur un banc, à la suite d’un empoisonnement. / Peter Nicholls / REUTERS

L’un des agents russes au cœur de l’empoisonnement de l’ex-espion Sergueï Skripal sur le territoire britannique a-t-il cherché à faire d’autres victimes en Europe ? La question se pose depuis que la Bulgarie a confirmé, mercredi 13 février, avoir officiellement demandé de l’aide à Londres pour enquêter sur un mystérieux empoisonnement subi par un fabriquant d’armes local en 2015. « Une équipe britannique est présente sur notre territoire », a déclaré le premier ministre bulgare Boiko Borrisov auprès du Guardian.

Le site d’investigation Bellingcat a révélé le 7 février qu’un des trois Russes ayant fait partie de l’équipe envoyée au Royaume-Uni en mars 2018 pour éliminer M. Skripal était également présent sur le sol bulgare en avril 2015, à la même date où, Emilian Gebrev, patron de l’usine d’armement bulgare Emco, avait été hospitalisé en urgence après un mystérieux malaise. Tombé dans le coma, M. Gebrev avait été traité pendant plusieurs semaines pour empoisonnement à l’hôpital militaire de Sofia. Après des analyses, le parquet bulgare avait d’abord affirmé que cet empoisonnement provenait « selon toute probabilité » d’un insecticide, et avait refermé le dossier en 2016, faute de pouvoir en identifier l’origine.

Les révélations de Bellingcat l’ont brusquement poussé à confirmer qu’il avait récemment rouvert le dossier. Selon le site, qui s’appuie notamment sur des données de passagers aériens, un même homme serait en effet lié à ces deux empoisonnements. Se faisant appeler Sergueï Fedotov, cet « officier de haut rang du renseignement militaire russe [GRU] » âgé de 45 ans serait en réalité nommé Denis Viatcheslavovitch Sergueïev.

Rôle mystérieux

« Sergueï Fedotov » avait déjà été mentionné dans la presse comme le troisième homme du commando qui avait aspergé du Novitchok sur M. Skripal et sa fille à Salisbury. Si le père et la fille avaient miraculeusement pu en réchapper après plusieurs semaines d’hospitalisation, une citoyenne britannique était morte en juillet après avoir manipulé par inadvertance un flacon contaminé.

M. Sergueïev est arrivé à Londres le même jour que les deux empoisonneurs qui avaient également été identifiés par Bellingcat comme des agents du GRU, nommés Anatoli Tchepiga et Alexandre Michkine. Le rôle exact de M. Sergueïev reste mystérieux, rien n’indiquant pour l’instant qu’il se soit rendu à Salisbury avec les deux autres agents. Mais Bellingcat assure qu’alors qu’il avait un billet retour de Londres deux jours plus tard, il ne s’est pas présenté à l’embarquement et a préféré prendre un vol retour depuis Rome. Un modus operandi qu’il aurait également employé lors de ses escapades bulgares, trois ans plus tôt.

Arrivé dans la station balnéaire de Burgas, en Bulgarie, le 24 avril 2015, il détenait alors un vol retour depuis Sofia, la capitale, le 30 avril qu’il n’a jamais pris. A la place, il a embarqué pour Moscou via Istanbul le 28 avril au soir. Au même moment, Emilian Gebrev, qui dîne dans un restaurant de Sofia, s’effondre. Son fils, ainsi qu’un collaborateur, sont également contaminés mais plus légèrement. Ces dates ont été officiellement confirmées par le parquet bulgare.

Sergueï Fedotov aurait de nouveau été présent en Bulgarie fin mai 2015 quand M. Gebrev est sorti de l’hôpital brièvement, avant d’y être réadmis en raison d’une réapparition des symptômes. Cette fois-ci, l’agent aurait quitté la Bulgarie en voiture avant de prendre un avion pour Moscou depuis Belgrade, en Serbie.

Données publiques « effacées »

Interrogé par le Guardian, l’entrepreneur bulgare, qui est persuadé d’avoir été empoisonné, assure ne pas savoir pourquoi il aurait été visé par les services russes. La presse bulgare évoque le fait qu’Emco fournit des armes en Ukraine. Toujours en s’appuyant sur des données de compagnies aériennes, Bellingcat affirme que Denis Sergueïev aurait par ailleurs voyagé sous sa fausse identité en de multiples autres endroits d’Europe entre 2013 et 2018, dont Barcelone au moment du référendum catalan sur l’indépendance de 2017 ou Paris en novembre 2014.

Retrouver Denis Sergueïev sera probablement plus dur que pour ses deux collègues, qui avaient spectaculairement nié en septembre toute implication dans le dossier Skripal sur la chaîne publique russe RT. « Ces deux derniers mois, les autorités russes ont pris la mesure inhabituelle d’effacer toutes les données publiques mentionnant l’existence » des trois hommes, affirme Bellingcat.