Le nombre de micro-travailleurs en France n’est pas anecdotique : de 15 000 personnes pour les plus réguliers à plus de 250 000 pour les moins actifs. Un groupe de chercheurs de Télécom ParisTech, du CNRS et de MSH Paris Saclay vient de publier une étude tentant de quantifier le nombre de ces travailleurs du clic, invisibilisés et précarisés, qui effectuent de petites tâches numériques rémunérées à la pièce.

« Souvent répétitives et peu qualifiées, [ces tâches] consistent, par exemple, à identifier ou nommer des objets sur des images, transcrire des factures, traduire des morceaux de texte, modérer des contenus (comme des vidéos), trier ou classer des photographies, répondre à des sondages en ligne », détaillent les chercheurs.

Clément le Ludec, Paola Tubaro et Antonio Casilli, les auteurs de cette enquête réalisée dans le cadre du projet DiPLab (cofinancé par la MSH Paris-Saclay, le syndicat Force ouvrière et le service du premier ministre France Stratégie) ont recensé courant 2018 :

  • un groupe de 14 903 micro-travailleurs « très actifs », car présents sur des plates-formes de micro-travail au moins une fois par semaine ;
  • un deuxième de 52 337 utilisateurs réguliers, plus sélectifs et présents au moins une fois par mois ;
  • enfin, un troisième groupe de 266 126 travailleurs qu’ils estiment occasionnels.

« Logiques de précarité et d’exclusion »

« Ces estimations sont à interpréter comme des ordres de grandeur. Dans la mesure où ils dépassent le nombre des contributeurs des plates-formes plus médiatisées telles Uber ou Deliveroo, ces chiffres élevés demandent l’attention autant des pouvoirs publics que des partenaires sociaux », précisent les auteurs. La multiplication de plates-formes qui sous-traitent ces micro-tâches et la popularité des solutions d’intelligence artificielle qui recourent largement aux travailleurs du clic pour fonctionner – ce que rappelait par ailleurs Antonio Casilli dans son récent ouvrage En attendant les robots – ont poussé les chercheurs à tenter d’estimer le phénomène en France.

Pour y parvenir, ils ont combiné trois méthodes : la prise en compte des chiffres déclarés par les plates-formes qui recrutent en France, poster des offres de tâche sur les plates-formes pour voir qui y répondait et, enfin, mesurer l’audience de ces plates-formes.

« Cette nouvelle forme de mise au travail des populations pousse à l’extrême les logiques de précarité et d’exclusion déjà constatées dans le cadre du vaste débat public et des contentieux légaux autour du statut des travailleurs “ubérisés”. Il nous paraît donc urgent de nous pencher sur ce phénomène émergent » , défendent-ils dans leur étude.