Au piano de Cuisine mode d’emploi(s), le centre de formation et d’insertion monté par Thierry Marx en 2012. / Cuisine mode d'emploi(s)

On dirait une ruche ­laborieuse. Dans le bruit de casseroles, une quinzaine de ­petites toques font leur travail sous d’énormes ­hottes en métal brossé. Ils et elles ­constituent la première promotion de l’école parisienne de Cuisine mode d’emploi(s), le centre de formation et d’insertion monté en 2012 par le chef étoilé et star de la télévision Thierry Marx.

Room-service

Quelque 1 500 personnes sont déjà ­passées par l’une des onze antennes éparpillées en France, en restauration, boulangerie, services et même poissonnerie. Les petites toques viennent de l’événementiel, de la finance, de l’éducation nationale, voire de prison. Pendant huit semaines, à raison de 35 heures ­hebdomadaires, elles apprennent à ­barder des rôtis, cuire le thon en tataki, réaliser de parfaites ravioles…

Un stage de trois semaines vient ­couronner le tout. « 87 % des stagiaires sortent avec le CQP [certificat de qualification professionnelle, équivalent du CAP créé par la branche restauration], ­affirme Véronique ­Carrion, directrice ­générale de Cuisine mode d’emploi(s). Et, parmi eux, 92 % trouvent un emploi dans les trois mois qui ­suivent leur ­diplôme. »

Doriane Dostert, 26 ans et déjà chef de son propre restaurant, est passée par cette formation express. Une fois ­diplômée, elle a été recrutée au room-service du très chic Mandarin oriental. « La ­cuisine, c’est très militaire, lance-t-elle. Pratiquer dans ces brigades prestigieuses m’a apporté tous les outils pour ­travailler avec passion, dans le respect des ­produits. »

Carte inventive

Avec sa compagne, Doriane vient d’ouvrir un restaurant, le Sando Club, dans le quartier de Bastille, à Paris. Un endroit déjà répertorié dans le réputé guide Fooding, grâce à sa carte inventive : « On fait des sandwichs avec un pain de mie spécial japonais que l’on ­prépare nous-mêmes… Pas du tout ­ “gluten free”. »

Dans un contexte économique compliqué, la restauration reste un secteur très dynamique. En 2015, près de 20 000 entreprises ont été créées, et les ­recrutements s’accélèrent. Selon une étude de l’Insee, le nombre de salariés est passé de 615 000 en 2003 à 764 000 en 2016. Pourtant, 56 % des restaurateurs et restauratrices ­considèrent que la difficulté à embaucher est un frein à leur ­développement.

« Nous avons à l’école Ferrandi des élèves qui viennent de la communication, on a une infirmière, un policier, des comptables… », François Merloz

Françoise Merloz, directrice adjointe chargée des formations adultes de la ­célèbre école Ferrandi, à Paris, croule sous les candidatures. Sur les 4 500 élèves qui passent tous les ans par l’établissement, 2 300 sont des adultes en reconversion ou ­perfectionnement. La formation dure un an, stage compris. « Les profils sont très différents, souligne-t-elle. Nous avons des élèves qui viennent de la communication, on a une infirmière, un policier, des comptables… La grosse différence de ces publics avec les jeunes qui ­sortent du ­lycée, c’est qu’ils sont très ­motivés, impliqués, attentifs. C’est leur projet de seconde vie. »

Pour autant, à Ferrandi, on ne vient pas pour apprendre à mieux cuisiner à la maison. L’école n’accepte que les ­personnes engagées dans un projet ­professionnel. Elle a également mis au point une miniformation de trois mois pour les entre­preneurs. Le but : apprendre les rudiments de la cuisine pour parler le même langage que son futur personnel et tester son projet de restaurant en situation réelle, dans un ­espace spéci­fique.

Cordon-bleu du dimanche

Diplômée d’un master en ­sociologie, Mathilde Fabry, ­quadragénaire, travaillait pour une école spécialisée dans la recherche en sociologie agricole et rurale. C’est en battant les campagnes angevines qu’elle s’est éprise des ­productions locales, est devenue administratrice d’une association pour le maintien d’une agriculture paysanne (AMAP) et militante pour l’environnement. La cordon-bleu du dimanche se pose alors des questions sur son utilité. « C’est bien de réfléchir, mais on peut agir aussi ! J’avais besoin de ­concret », dit-elle.

« Parfois, naïvement, les gens pensent à la cuisine parce qu’ils font un peu de pâtisserie pour épater les copains, sauf que le métier, c’est 70 heures par semaine ! », Mathilde Fabry

Déjà bardée de formations, elle se ­rapproche alors de la chambre de ­commerce et d’industrie de sa ville, ­Angers, qui lui propose une formation de trois mois au titre explicite : « Je crée, je reprends une entreprise en ­hôtellerie-restauration ». Elle ­apprend à gérer un budget, à réaliser des audits, à connaître les règles ­d’hygiène, à diriger une équipe. Elle crée alors sa société de traiteur en circuit court, Ma cantine buissonnière. Trois ans plus tard, sa ­petite affaire roule, et Mathilde livre ­des supermarchés bio, des entreprises et ­des particuliers.

Si elle n’a pas appris à cuisiner avec sa formation, elle n’aurait pas pu s’en passer avant de se lancer : « Parfois les gens sont naïfs. Ils pensent que ça va être bien de cuisinier parce qu’ils font un peu de pâtisserie pour épater les copains, sauf que le métier, c’est 70 heures par semaine et c’est dur. Ça ne sert à rien de partir au casse-pipe avec un food-truck ou un petit resto si on n’a pas pesé le pour et le ­contre pour soi et son entourage. Car il faudra se serrer les coudes ! »